1998. Sous le soleil écrasant de Kaboul, ville démolie sous le joug taliban, les jeunes Mohsen et Zunaira s’aiment d’un amour irrésistible.
Dans cette vie bardée d’interdictions, les femmes sont emmitouflées dans des tchadris, les intellectuels réprimés, la représentation du corps interdite. La violence, la cruauté et la misère sont partout dans les rues, où règne la terreur. Les rares parenthèses de liberté n’ont lieu qu’à l’intérieur des maisons, où l’on est reclus, mais pourtant jamais à l’abri d’être épié et vite dénoncé. Même lorsque Zunaira, l’artiste – qui n’est plus avocate comme dans le roman -, dessine Mohsen ou fait son autoportrait sur un mur de chez elle, un épais rideau rouge sang est toujours à portée pour cacher sa « faute ». Un jour, le tendre et fin Mohsen rentre chez lui, rongé par le remords de l’acte inconsidéré qu’il a commis. Il ne peut le dissimuler à Zunaira : dès lors, la vie du couple et de ceux qu’ils vont croiser, va s’en trouver totalement bouleversée.
Tandis que le conflit afghan s’éternise au fronton de l’actualité, Zabou Breitman et Eléa Gobbé-Mévellec retracent les horreurs perpétrées par un régime monstrueux vingt ans plus tôt, à travers un geste cinématographique aussi politique qu’aérien et poétique. Ce paradoxe est le produit et la réussite d’une collusion assez inédite entre le style graphique éthéré et aquarellique d’Eléa Gobbé-Mévellec (Le Chat du Rabbin, Ernest et Célestine) et une recherche minutieuse consacrée à l’authenticité de la bande-son et des acteurs que Zabou Breitman a dirigés. Le parti pris de cette dernière à filmer en amont du dessin le jeu des comédiens (Zita Hanrot, Swann Arlaud, Simon Abkarian, Hiam Abbas…), tout en privilégiant leurs hésitations, les accidents et les chevauchements de dialogues – comme par le passé dans La Reine Margot de Patrice Chéreau -pose la première pierre de l’édifice. Prenant la relève, les animateurs donnent aux scènes une distance et des contrepoints systématiques via une palette de couleurs douces et quasi rêveuses. Au final, l’évocation prenant le pas sur la précision, tels ces visages d’acteurs que l’on reconnaît un peu mais plus vraiment, l’universalité et les ambiguïtés du récit brutal et angoissant s’en trouvent renforcées. En ce sens, par cette méthode singulière et cette façon de mêler espoir et beauté à leur film cruel et délicat, Zabou Breitman et Eléa Gobbé-Mévellec créent un acte de résistance mémorable face à l’obscurantisme. Et un grand film de cinéma.