Attendu depuis longtemps pour son premier long-métrage, le réalisateur Bertrand Mandico, dont l’onirisme trash est connu, frappe fort avec Les Garçons sauvages et cinq actrices hors pairs dans des rôles masculins. Un film extraordinaire et culotté.
Issu de l’école des Gobelins et du cinéma d’animation, Bertrand Mandico a développé un univers formel singulier et foutraque au travers de plus d’une vingtaine de courts et moyens métrages oniriques, fantastiques, souvent fauchés et sexuellement déjantés. Devenu au fil des ans la coqueluche de l’Étrange festival, il a arpenté les festivals internationaux coiffé comme Tim Burton avec un œil qui se fait la malle (à la Tim Pope), très inspiré par David Lynch (on tressaille encore de sa bestiole gluante et poilue dans Notre Dame des hormones, 2015). Il a l’habitude de picorer dans une liste inépuisable d’artistes, dont il agrège avec soin tout ce qui l’intéresse. A l’instar de son cadet Yann Gonzalez (Les Rencontres d’après minuit, 2013), Bertrand Mandico s’inscrit comme un emblème d’une nouvelle génération de cinéastes décomplexés, à la culture hybride, férus de nanars français des 60’s, de l’esprit caverneux des 80’s (égal à des réminiscences de l’adolescence) et ouvertement gay.
Aux prémices étendues de sa filmographie convient ce somptueux premier long, Les Garçons sauvages produit par Emmanuel Chaumet, film d’aventure fauve, interdit aux moins de douze ans où en guise d’introduction, cinq adolescents à l’apparence innocente perpètrent un crime odieux. Dès lors, condamnés à subir le joug d’un capitaine sans pitié et libidineux, ils sont emprisonnés sur un voilier en direction d’une île mystérieuse… Avec célérité, Mandico nous embarque dans un conte esthétique très malin dont chaque plan est un hommage ardent au cinéma d’Hollywood, restituant ses ambiances, sa texture granuleuse et ses transparences. À la manière d’un Guy Maddin azimuté, l’irruption orgasmique de la couleur est le produit d’un fruit vénéneux telle la pomme écarlate de Blanche-Neige. Mandico est une sorte d’apprenti sorcier tiraillé entre le Giallo de Bava et Argento, Les Contrebandiers de Moonfleet de Fritz Lang, Querelle de Fassbinder ou Pink Narcissus de James Bidgood.
La grande intelligence du film réside beaucoup dans l’utilisation d’un casting d’actrices fascinantes et justes dans des rôles de jeunes mecs ambigus entachés du mythe de l’androgynie. La plus captivante comédienne française du moment, Vimala Pons, fanfaronne de testostérone aux côtés de l’étonnante Pauline Lorillard, de l’attirante Diane Rouxel, de l’énigmatique Anaël Snoek et de l’adorable Mathilde Warnier. Encadré de ses fidèles extravagantes, Elina Löwensohn et Nathalie Richard, le démiurge et jouisseur Mandico se love autour de ses interprètes, qu’il engloutit dans le décor, une végétation exotique foisonnante, prétexte magique aux postures érotiques de ses héros, qui transmutent sexuellement. Au-delà de tout, les amusements incessants de ces Garçons sauvages à berner les ciseaux de la censure, jusqu’au happening orgiaque où s’extasie la glotte de Nina Hagen, sont irrésistibles. De la capacité à mettre ainsi le spectateur dans sa poche, ce cinéma surnaturel, on le reçoit cinq sur cinq.