Avec ce portrait d’une femme ordinaire et splendide, Rebecca Zlotowski emprunte le chemin d’un récit peu visité par le cinéma. Offrant à Virginie Efira une partition de choix, elle révèle aussi son plus beau film à ce jour.
De son propre aveu, son cinquième long-métrage Les Enfants des autres trouve sa source dans le parcours collectif récent et dans l’expérience personnelle de Rebecca Zlotowski, après avoir embrassé des cadres plus imposants, voire virils et phalliques (le circuit moto de Belle épine, la centrale nucléaire de Grand Central). Il est aussi né du besoin de raconter la « belle-maternité » autrement que par le spectre de la marâtre, à l’œuvre dans tant de récits depuis la nuit des temps. Que se passe-t-il quand, en plus d’une rencontre amoureuse, naît l’attachement à la descendance de l’autre ? Avec le risque d’une séparation, parfois définitive, d’avec aussi cette progéniture non biologique. Comment le filmer et le transférer en fiction ? Un manque, une invisibilité, que la réalisatrice d’Une fille facile a voulu combler.
Bonne pioche, car cette composition sur la finesse du lien humain est enthousiasmante. Tout dans cette aventure touche en plein cœur. Le périple narratif de Rachel, au cours de sa découverte d’Ali et de sa fille Leila, brille par sa subtilité. L’écriture de la cinéaste sait mettre en lumière le vibrant et le non spectaculaire du quotidien. Gestes, échanges, observations, attentions, sensations. Les protagonistes ont des métiers, des impératifs, des trajets à faire, que l’on ressent à chaque plan. Le banal, le prévu comme l’imprévu ont droit de cité. De cette multitude de motifs, la cinéaste tisse une toile, où elle accueille deux orfèvres de l’incarnation. Virginie Efira explore encore une facette différente de la féminité. Nouvelle venue chez Zlotowski, elle semble trouver chez elle un précipité de composition idéale, après ses associations fructueuses avec Justine Triet (Victoria, Sibyl) et Alice Winocour (Revoir Paris). À l’aise avec la vulnérabilité comme avec l’animalité de son corps, elle irradie de justesse.
Roschdy Zem joue, lui, un autre versant de la masculinité pour la cinéaste, après l’autorité et le charisme au cœur de son rôle de président de la République dans la formidable mini-série télévisée Les Sauvages. L’auteure l’envisage ici dans la pulsation paternelle et dans la sensualité tranquille, et l’alchimie embrase l’objectif. Le duo amoureux est magnifique, faisant écho quelques mois plus tard au tandem Fanny Ardant/Melvil Poupaud des Jeunes amants. Et quelle respiration de voir la rivalité potentielle de deux femmes annulée, au profit d’une compréhension mutuelle. Certaines histoires sont des passages relais au milieu d’autres amours. Cet éclairage en est un. Rebecca Zlotowski allie une grande maturité dans son travail et dans sa vision des fils qui unissent les êtres. L’élégance, la fluidité sans chichis de sa mise en scène, et la combinaison d’un classicisme formel avec un regard contemporain font tout le sel de cet opus pour le grand écran. Son plus beau à ce jour.
Olivier Pélisson