Une lecture hautement recommandable en attendant la sortie du nouveau 007, Mourir peut attendre, annoncé le 6 octobre prochain.
Disons-le d’emblée, nous avons ici affaire à un ouvrage-clé sur la mythologie de James Bond. Si le premier chapitre peut effrayer le lecteur quand les noms de Gilles Deleuze, Sigmund Freud et de Michel Foucault se succèdent, et qu’il se voit, en outre, imposer une approche « philoscopiquement vôtre », il est cependant vite rassuré dès le second, lorsque l’analyse se révèle tout d’un coup d’une richesse, d’une pertinence et d’une facilité de lecture inouïes. Quant au concept de « philoscopie », une fois mis en parallèle avec celui de radioscopie en médecine, il ne présente dès lors plus de mystère, puisqu’il s’agit d’une simple terminologie propre à l’auteur, afin d’« analyser l’image, au service d’une philosophie de l’écran, (qui) permet de visualiser des mouvements, de repérer des articulations, de souligner des nuances, souvent invisibles à l’œil nu » (p.23). Rien donc de trop désorientant dans cette approche, qui se révèle n’être qu’une façon pseudo-scientifique (très universitaire française) de pratiquer l’ancestrale analyse de l’image, cette fois avec une rigueur encore plus exigeante qu’à l’ordinaire, fort heureusement accompagnée de pointes d’humour fréquentes des plus réjouissantes.
Effectivement, cette analyse de la mythologie bondienne est le résultat d’un regard doté d’une acuité impressionnante. L’auteur a sélectionné cinq caractéristiques fondamentales de la personnalité du célèbre agent, qui se dégagent des vingt-cinq films consacrés au héros d’Ian Fleming. Si elles sont a priori bien connues des spécialistes, elles conduisent néanmoins à des interprétations souvent inattendues, parfois même très surprenantes et toujours convaincantes. D’où l’emploi judicieux du mot « secret » dans le titre, justifié par le discours imprégné de suspense, fort bien entretenu de chapitre en chapitre, qui tient le lecteur en haleine jusqu’au « dénouement » de la démonstration. Un style nerveux qui fait de cet ouvrage un « action book » aussi passionnant que les meilleurs des « Bond movies ».
Comme pour tout bon récit littéraire ou cinématographique, il nous est donc interdit de révéler le contenu des cinq secrets découverts par Aliocha Wald Lasowski et nous nous limiterons donc ici à la simple évocation de leur domaine d’investigation. Tout d’abord, les divers problèmes propres à la géopolitique mondiale, des années cinquante à aujourd’hui, tels que les romans et films de Bond les ont reflétés et pour lesquels l’auteur via celui qui a le permis de tuer offre une solution ludique des plus efficaces. Puis, symbole premier de la « britannitude », Bond se voit élevé au niveau de la mondialité et là aussi nous surprend dans son comportement de citoyen planétaire.Le temps est alors venu d’aborder son côté séducteur et Lasowski remarque que l’espion a en fait beaucoup de mal à dissimuler une autre dimension de son rapport aux femmes, jusque là non perçue par ses exégètes. Un parcours sémiologique qui n’omet pas d’examiner le « corps glorieux » du personnage, incarné par ses divers interprètes au physique peu commun, qui, lui aussi, cache un autre aspect déjà remarqué par Jean-Paul Sartre, alors amené à affirmer que « l’homme est l’être par qui le néant vient au monde » (p.183). Et enfin, la position de Bond dans le domaine culturel, dont il fait aujourd’hui indéniablement partie, Lasowski le faisant osciller entre deux univers radicalement opposés. Des chapitres dont les secrets révélés convainquent aisément le lecteur, car ils sont étayés par une avalanche impressionnante de références irréfutables, empruntées à tous les films produits entre 1962 et 2020, dont les titres sont rarement cités, ce qui accentue la participation mémorielle du lecteur. Un James Bond revisited qui fait de son auteur à l’esprit fort éclectique (on lui doit déjà plusieurs titres consacrés autant à Althusser et Gide qu’à Sollers et Sartre) the spécialiste incontestable de la galaxie jamesbondienne.