Adaptation du roman de Karin Tuil, Les Choses humaines laisse un sentiment amer : on ne sait quelle vérité croire, ici. Et c’est bien le but de ce film dérangeant habité par de grands comédiens et deux absolues révélations : Suzanne Jouannet et Ben Attal.
Parole contre parole, vérité contre vérité. Le roman de Karin Tuil, Les Choses humaines observait la mise en accusation d’un jeune homme par une jeune femme. Alexandre, 22 ans, fils de deux figures médiatiques françaises, Jean et Claire Farel, revenu des États-Unis pour assister à la remise de Légion d’honneur de son père, allait dîner chez le nouveau compagnon de sa mère, puis emmenait à une soirée huppée la fille de celui-ci, Mila, 17 ans. Après quelques verres et dans le but de partager un pétard, il s’isolait avec elle dans un local à poubelles, la plantant là, ensuite, pour retourner à la fête, non sans lui avoir dérobé sa culotte, objet d’un pari qu’il lui avouait benoîtement. Pour elle, il y avait eu viol et pour lui, relation consentie.
L’adaptation – par Yvan Attal et sa coscénariste du Brio et de Mon chien stupide, Yaël Langmann – respecte l’essentiel de ce copieux ouvrage à l’écriture ciselée. Des personnages disparaissent, la structure du roman est légèrement modifiée pour obtenir trois parties à l’écran : Lui, Elle, puis Les plaidoiries. Ce faisant, Attal ne propose pas des points de vue différents sur ce qui s’est passé entre ces deux personnes dans ce lieu clos et sans témoin : la soirée est reconstituée en flash-back brefs jusqu’à ce que la porte se ferme… puis s’ouvre à nouveau. Mais le réalisateur nous fait changer de peau, de regard. Une foule de détails nous permet d’entrer dans la tête d’Alexandre, gentil garçon bien élevé, un peu déçu par la désinvolture de ses parents (un chauffeur le récupère à l’aéroport, une gouvernante l’accueille à l’appartement familial), et ferme, voire salace, dans ses rapports avec son ex-petite amie, qu’il exige de revoir et malmène dans un hall d’hôtel chic. De Mila, douce et timide créature, on comprend qu’elle est habituée à une certaine modestie en tous domaines ; son père est professeur, elle vit avec lui dans un petit appartement ; sa mère s’est réfugiée dans la religion juive ; elle est clairement éblouie par Alexandre, qui joue divinement du piano, parle bien, et semble très à l’aise partout où il se trouve. La troisième partie du procès est exemplaire, déstabilisante, jamais manichéenne. Le plus souvent filmée frontalement et en plans-séquences, elle nous fait vivre la parole entière, le décorum et le théâtre, les humiliations ressenties par la victime…
Le film restitue très bien la différence sociale, l’impressionnant pouvoir (verbal, mental, financier…) des riches, les certitudes d’un père auquel rien ne résiste, et les ambivalences d’une mère féministe, plus nuancée. Il montre aussi les vies ravagées, les dommages collatéraux. Les acteurs sont remarquables, et la trouvaille du film est de nous présenter deux ébouriffants jeunes acteurs : Suzanne Jouannet, débutante impressionnante, et Ben Attal, déjà vu dans des seconds rôles, mais ici impeccable dans un personnage écrasant. Les Choses humaines nous captive la plupart du temps – malgré quelques lenteurs et quelques scènes appuyées (notamment dans la façon dont le père d’Alexandre séduit sa très jeune secrétaire) – et laisse une sensation étrange, bouleversante. Car le but (du livre comme du film) était de faire entendre toutes les vérités. Elles y sont. Et avec elles, l’insatisfaction de ne pas connaître l’inconnaissable.