Au sortir de la guerre, un jeune Anglais avide de grimper dans l’échelle sociale courtise une héritière et rencontre une femme mûre. Le rôle qui relança la carrière de Signoret avec un prix d’interprétation à Cannes et un Oscar à la clé.
Excellente idée, soixante ans après, de ressortir Room at the Top, ce film mythique à plus d’un titre. Même s’il est surtout connu en France sous le titre Les Chemins de la haute ville. Il est le premier très beau long-métrage de Jack Clayton, assistant et producteur devenu sur le tard réalisateur, dont la courte carrière atypique (seulement six films) comporte un chef-d’œuvre, Les Innocents (1961), et un fleuron de l’adaptation littéraire à fanfreluches, Gatsby le magnifique (1974). Il a valu à Simone Signoret, 38 ans, épouse de Montand, et à l’époque plus groupie du chanteur qu’actrice, faute de projets, le renouveau de sa carrière ainsi qu’un prix d’interprétation au Festival de Cannes en mai 1959 et un Oscar à Hollywood en 1960.
Adapté d’un best-seller signé John Brain, Room at the Top raconte avec acuité, dans le contexte de l’après-guerre, dans la deuxième moitié des années quarante, l’arrivée d’un jeune homme dans une ville moyenne du Yorkshire, où il compte bien convoler au-dessus de son rang social. Ses yeux se posent sur Susan Brown, fille d’un gros bonnet local, mais ses mots arrivent bien mieux aux oreilles d’Alice Aisgill, Française de dix ans son aînée, belle et fine, accueillante et complice, et de surcroît mal mariée à un mufle.
Le film conserve ce petit décalage d’origine qui veut qu’en France, pays de Radiguet, on ne soit pas, même à l’époque, si choqué par la différence d’âge entre Laurence Harvey, 31 ans au moment du tournage et censé avoir 25 ans, et Simone Signoret, seulement 38, alors qu’il est dit qu’elle a dix ans de plus que lui, soit 35 ! Ce qu’on voit surtout, au-delà de ces considérations mathématiques, c’est l’immaturité revancharde de l’homme, contrecarrée par la sagesse humaniste de la femme. Et c’est très beau. En plus de l’analyse psychologique qui offre un passionnant constat d’époque dans une Angleterre dévastée d’après blitz, le noir et blanc est superbe, et la maîtrise de Clayton, éclatante. Le film, gentiment accueilli en France, fut un énorme succès en Grande- Bretagne et aux États-Unis.
L’interprétation de Simone Signoret, sans jeu de mots, n’a pas pris une ride. Elle est impressionnante de beauté et de justesse, un souffle de tristesse voile ses grands yeux clairs, mais sa force est tangible. Elle incarne, au sens le plus plein du terme, une femme dont une des amies dans le film dit justement : « Alice est si … femme ! » Femme femme, amoureuse certes, et charnelle et sensuelle, mais aussi libre, et consciente. Du temps qui passe, du regard des autres, de la lâcheté de son amant…
Dans La nostalgie n’est plus ce qu’elle était, Signoret, d’une plume délicieuse, raconte de belles choses et d’autres moins belles, mais toujours avec de jolis mots ; elle fait une place de choix à Alice Aisgill, qui revient au fil d’une bonne soixantaine de pages, comme un personnage qu’elle a aimé incarner et qui l’a accompagnée pendant près de deux ans, du tournage aux Oscars. Elle termine sur ces mots : « On en était arrivé au moment de la meilleure actrice. Je me tassais dans ma belle robe de plumets noir. Il n’y avait aucune raison pour que les mêmes voix eussent choisi aussi souvent la grande superproduction (Ben Hur, ndlr) et en même temps la vieille Alice d’un film à petit budget, confectionné à Shepperton Studios. Pourtant , dès le « Simauau… », je reçus une formidable tape dans le dos du « nominé » qui était assis derrière moi — j’étais déjà debout, je courais… »