Dernier film de Terence Davies, cette biographie d’un poète britannique est un must. Elle emprunte tous les chemins du cinéma pour déclarer la guerre à la guerre et aux préjugés.
Siegfried Sassoon, sous-lieutenant britannique perd son frère au front, en 14-18, alors que lui-même revient indemne. Physiquement, s’entend. Car au fond de lui, Siegfried est ravagé par la violence des combats, et leur but : « Je pensais m’être engagé dans une guerre de libération et elle est devenue une guerre d’agression et de conquête. » Devenu objecteur de conscience, Siegfried, envoyé dans une maison de repos en Écosse, découvre l’amour des hommes et la poésie. Le Londres de la Belle Époque deviendra son terrain de jeu…
Ce pourrait n’être qu’une banale biographie sur une figure britannique méconnue du reste du monde. Mais voilà, Les Carnets de Siegfried est signé Terence Davies. Ce merveilleux réalisateur, trop rare de son vivant et disparu en octobre 2023, auquel on doit quelques joyaux, dont Distant Voices, Chez les heureux du monde, Sunset Song, Emily Dickinson, A Quiet Passion, n’avait pas son pareil pour dépoussiérer les costumes, illuminer les décors, faire vibrer les âmes anciennes en toute modernité.
Furieusement romanesque, son récit bénéficie de la présence fascinante de Jack Lowden (vu, entre autres, dans les trois saisons de la série Slow Horses), qui confère à ce personnage multiple, sous une allure hiératique, des tourments et passions palpables. L’utilisation des images d’archives baignées de musique, leur montage heurté précipitant tous nos sens en alerte vers le chaos du monde, donnent au film une ampleur étonnante, opératique. Si sa durée (2 h 18, tout de même) se fait parfois un peu sentir, il y a, dans le déploiement de l’histoire individuelle croisant celle du monde, une force inouïe. Grande œuvre pacifiste, traitant de l’homosexualité et des préjugés et prônant la beauté, la poésie, l’amour, Les Carnets de Siegfried est à voir absolument.
Isabelle Danel