Un enfant loup-garou déguise l’innocence en monstruosité et se fait dévorer par l’horreur sociale de la société brésilienne. Conte d’amour et de morale, Les Bonnes manières est engagé.
Ainsi s’agissait-il d’un cinéma d’anticipation. Un film démiurge, annonçant le réel, l’écrivant comme un funeste augure voyant un sombre futur advenir. Ce qui devait arriver arriva ? Le scénario de la fiction de Juliana Rojas et Marco Dutra s’est soudain colleté avec la tragédie du monde. Et la vraie vie a transfiguré ce conte mutant en conte de faits, d’un réalisme saisissant.
On avait découvert Les Bonnes manières en souriant, en frissonnant, en rêvant, mais voilà qu’un crime commis à Rio de Janeiro, à une semaine de sa sortie sur nos écrans, a déplacé le regard. Les Bonnes manières ne songe pas dans un temps lointain, à un Brésil déchiré par la violence, l’intolérance, le racisme : on y est ; son histoire est le présent.
A Rio de Janeiro, Marielle Franco, conseillère municipale de 38 ans, militante féministe connue pour son engagement contre le racisme et la violence policière, a été assassinée. Elle a été retrouvée gisant à l’arrière de sa voiture. Son corps était criblé de balles de calibre 9mm, des munitions provenant de stocks volés à la police. « Combien d’autres vont mourir ? », avait-elle lancé sur les réseaux sociaux à la veille de sa mort, après le décès d’un jeune homme tué par balles alors qu’il sortait d’une église. Et puis Marielle Franco est tombée. Des manifestations ont agité le Brésil et des protestations ont eu lieu dans d’autres pays. « Ils ne vont pas nous faire taire », a publié le footballeur Neymar sur son compte Instagram.
Icone de la lutte des femmes noires contre les discriminations, Marielle Franco était noire, lesbienne, issue des favelas de Rio. Clara, l’héroïne du film, est noire, lesbienne, vivant en périphérie de Sao Paulo. Ce commun portrait ne suffirait pas à les rapprocher, s’il n’y avait à travers elles la même inscription dans un Brésil violent, placé sous la loi des milices. La milice, dans Les Bonnes manières, est le peuple en armes, une sorte d’armée de voisinage, qui fait justice dans le sang et la terreur. L’ordre qu’elle défend est une nouvelle barbarie et le genre horrifique, du coup, en rend compte d’exacte manière.
Les voisins de Clara crient vengeance, ils veulent régler leur compte : ils sont venus tuer le petit monstre de cette femme noire célibataire, son garçon pas comme les autres, qui devient loup-garou les nuits de la pleine lune. Ce que Clara oppose à ses voisins eux-aussi assoiffés de sang, faussement civilisés, qui veulent en finir, lui faire la peau, c’est l’harmonie et la plénitude de son amour maternel inconditionnel. Clara ne tue pas la violence de l’enfant loup, elle la dompte, elle lui oppose une infinie douceur, des gestes aimants, une compassion extrême. Elle ne le tue pas, elle lui chante la chanson douce d’une berceuse. Un petit cheval tourne dans la boîte à musique : ainsi va le manège de la vie.
Primé à Locarno, à Gérardmer, à L’Etrange Festival, le film choc de Juliana Rojas et Marco Dutra enchante, par sa puissance d’évocation, par sa conséquence, par sa manière extraordinaire de jouer avec le genre. Ce fantastique si politique, avec sa vertu morale, n’est pas seulement le conte ordinaire de la folie des hommes modernes. La bouleversante Isabel Zuua, mère courage, mère miracle, est l’héroïne d’un conte d’amour absolu. Ce pur amour est extraordinaire, il enseigne les bonnes manières.