À l’abri des regards et de l’urbanité, un duo père-fille vit sa vie. Jusqu’où, jusqu’à quand ? Interrogation défricheuse de la brillante Debra Granik, huit ans après Winter’s Bone.
Nommée à l’Oscar pour son adaptation avec Anne Rosellini du roman de Daniel Woodrell, Winter’s Bone, Debra Granik remet le couvert avec sa scénariste. Elles partent cette fois de L’Abandon de Peter Rock, et passent du Missouri à l’Oregon. Mais toujours une fille adolescente et son lien intense au père. Dans le premier, Jennifer Lawrence incarnait une battante, soutien de famille, en quête de son paternel dealer ayant abandonné le foyer. Ici, c’est l’inverse. Le duo est fusionnel. Will et Tom vivent en autarcie dans une forêt, exploitant l’autosuffisance au maximum. Vétéran doté d’une pension d’invalidité, le pater (Will) a un problème d’intégration sociale et de relation au cadre. Jusqu’à fuir physiquement et se cacher. La fille (Tom) a toujours été préservée, mais face aux événements du récit, devine une autre voie possible. Leur socle tremble. Mais pas leur amour.
La cinéaste saisit avec poigne et grâce la persistance d’un idéal. Elle ne cesse d’accompagner les exclus, les invisibles, les êtres en marge, les « chiens errants », comme dans son documentaire Stray Dog, sur un biker vétéran du Vietnam. Elle fait œuvre d’inclusion en les ramenant dans la lumière collective. Ici la fracture physique se dessine, entre celui qui ne veut pas démordre de son modus vivendi et celle qui veut bien tenter l’adaptation à une existence plus en lien à la société. Aucun jugement, aucune complaisance, aucune condescendance. Même les autorités ne sont pas là que pour casser les rêves, elles peuvent écouter et proposer des solutions au binôme familial. Et Granik chante le foyer dans un modèle incomplet, mais humain, nourrissant et riche en affection, de la survie en pleine nature à la communauté en camp de mobil-homes.
Dans le paysage du septième art états-unien, cette femme, réalisatrice, continue de poser les pierres d’un travail de curiosité, d’altruisme, et de véritable conteuse de son pays, de son vaste territoire, et de ses hommes. Avec finesse dans son écriture et dans la place de sa caméra, de l’immersion documentaire au récit d’apprentissage. Elle offre des personnages denses à ses interprètes. Auparavant, Vera Farmiga et Jennifer Lawrence. Aujourd’hui, Ben Foster, débarrassé des rôles de psychopathe, pour incarner un versant profond de la blessure enfouie et de la filiation. Et Thomasin McKenzie, jeune actrice australienne impressionnante de présence centrée et de magnétisme brut. Un geste de cinéma vivifiant, qui a valu notamment à Leave No Trace de passer par Sundance, la Quinzaine des Réalisateurs cannoise et Deauville.