Pour le dernier volet de sa trilogie du mal, Barbet Schroeder scrute le discours terrifiant d’un moine bouddhiste islamophobe. Il signe un documentaire essentiel, nouvelle pierre d’une œuvre d’une rare cohérence.
Plus de quarante ans après Général Idi Amin Dada : autoportrait et dix ans après L’Avocat de la terreur (ambitieuse plongée au cœur du mystère Jacques Vergès), Barbet Schroeder clôt sa « trilogie du mal » avec Le Vénérable W., portrait sans fard d’Ashin Wirathu, moine bouddhiste birman, célèbre pour ses prêches de haine antimusulmans, qui visent la minorité des Rohingyas. En s’approchant de personnages aussi différents, le cinéaste parvient pourtant à trouver une surprenante unité de thèmes, qui constituent autant de fils rouges entre les trois documentaires. Véritables prime donne devant la caméra du cinéaste, les sujets ont en commun, bien sûr, une haute idée d’eux-mêmes. Et c’est cette mégalomanie qui permet au réalisateur de les faire accoucher de discours aussi ahurissants. À cet égard, Le Vénérable W. débute avec une horrible assertion de Wirathu, assimilant les musulmans à des animaux nuisibles. Le ton est donné, dont ne se départira pas l’effrayante vedette de ce film. Enregistrant le discours de Wirathu, qui appelle au boycott et aux violences contre la minorité des Rohingya, le cinéaste lui donne constamment un contrepoint filmique. Quand ce ne sont pas des témoignages de certains de ses condisciples, ce sont des explications historiques et chiffrées, remettant constamment les événements dans leur contexte. Le raccord le plus saisissant intervenant au bout d’une heure de film, quand Wirathu affirme que l’ethnie Rohingya n’a jamais existé. Le cinéaste enchaîne sur un reportage de TF1 datant de 1978, relatant l’exode des Rohingya au Bengladesh après les exactions dont ils furent victimes en Birmanie. Ce vertigineux flash-back est un des moments forts d’un film riche et complexe, qui s’inscrit avec une cohérence admirable dans l’une des œuvres les plus passionnantes d’aujourd’hui.