Le Roman de Jim

L’émotion à sa source

Arnaud et Jean-Marie Larrieu tirent du Roman de Jim de Pierric Bailly une lumineuse adaptation scandée d’ellipses judicieusement ourlées, qui offrent à chaque avancée scénaristique une saisissante portée. L’émotion y est telle que devant cette histoire de paternité contrariée par le sort, on pleure toutes les larmes de son corps.

À l’origine de ce projet cinématographique, un geste inspiré : celui de Pierric Bailly, amateur du cinéma des frères Larrieu, qui demande à son éditeur de leur faire parvenir son Roman de Jim. Entre ce texte, son auteur et les réalisateurs du Voyage dans les Pyrénées ou Tralala, une rencontre véritable opère, sur laquelle on aurait volontiers parié. C’est qu’il y a dans le cinéma des Larrieu une manière singulière d’approcher le réel et d’en célébrer les contours en imaginant des situations fantaisistes qui jamais ne perdent leur ancrage au sol. De son côté, l’auteur de L’Homme des bois ou, plus récemment, de La Foudre sait explorer les paradoxes de l’existence avec une manière très concrète de prendre ses personnages à leur source et de ne pas les juger. Son regard rigoureux et profondément humain semble avoir percuté les Larrieu, qui, avec cette adaptation, signent leur film le plus ample et émouvant à ce jour. Face à ce récit qui s’étend sur vingt-quatre ans, les voici confrontés à un rapport au temps long inédit dans leur cinéma. Tout en restant fidèles au texte initial, ils inventent des scènes qui permettent aux ellipses d’opérer à l’écran et offrent au récit – habilement monté par Annette Dutertre – une séduisante fluidité. Nous suivons ainsi les jeunes années de Jim, qui fut, dès sa naissance, aimé et élevé par Aymeric (Karim Leklou) et sa mère (Laetitia Dosch), avant que son père biologique (Bertrand Belin) ne refasse surface. Jim est alors garçonnet et Aymeric, cet homme profondément doux et gentil, se retrouve relégué au rang de parrain, puis mis à distance de l’enfant qu’il considère comme son fils.

Il y a dans cette histoire d’attachement et d’arrachement successifs filmée sur fond de paysages jurassiens sublimes aux couleurs éclatantes (beau travail, une fois encore, de la cheffe-opératrice Irina Lubtchansky), les bases mêmes du mélodrame, mais ici, la cruauté et la tendresse règnent à parts égales et tiennent le spectateur en haleine autant qu’elles le bouleversent et le nourrissent. La force de Bailly, des Larrieu et de leur formidable casting (Karim Leklou et Laetitia Dosch, en tête, tous deux magistraux ; citons aussi les présences remarquables de Sara Giraudeau, Noée Abita, Bertrand BelinAndranic Manet et Eol Personne dans le rôle de Jim enfant), c’est qu’ils les défendent dans leur manière d’inventer leur vie, de tenter bon an mal an de trouver une issue au sort qui les contraint. Le « chacun a ses raisons » cher à Jean Renoir trouve ici sa parfaite démonstration, et face à tant d’humanité, l’on est chaviré.

 

Anne-Claire Cieutat

À écouter aussi, l’interview minutée d’Arnaud et Jean-Marie Larrieu par Jenny Ulrich