Journal intime inattendu, ce documentaire donne à voir un aperçu de ce que l’iconique Aznavour a capté du monde pendant des années. Une vision personnelle qui émeut autant que ses chansons. Le parfait antidote au biopic classique.
Incroyable. Charles Aznavour a filmé des heures d’images entre 1948 et 1982. Trente-quatre ans d’archives personnelles nées d’un cadeau. Celui que lui fit Édith Piaf en 1948 : une caméra Super 8. Tout s’y mêle : voyages personnels, tournées à l’étranger, premières, tournages, vacances. Une véritable plongée dans l’intimité, où les scènes sans paillettes côtoient quelques moments illustres. Plus étonnant encore, l’artiste a conservé tout ce matériel pendant des décennies, avant de s’y intéresser avec son collaborateur et ami Marc Di Domenico, peu de temps avant sa mort. Des quarante heures de rushes visionnées par ce dernier, un montage de quatre-vingts minutes arrive aujourd’hui sur grand écran. Une concrétisation pour l’auteur aux innombrables tubes, qui tourna comme acteur dans une cinquantaine de longs-métrages, mais n’en réalisa aucun. Il en rêva pour Yiddish Connection, qu’il écrivit, et qu’il interpréta avec Ugo Tognazzi et André Dussollier, mais que les producteurs refusèrent de lui laisser mettre en scène.
C’est via le personnel et l’intime donc, et à titre posthume, un an après sa mort survenue le 1er octobre 2018, que débarque cette aventure, annoncée comme « Un film de Charles Aznavour, réalisé par Marc Di Domenico ». Et quel regard ! Au fil des séquences, l’attention se fait précise sur le monde qui entoure le musicien. L’ailleurs, au-delà des frontières et des mers. Ces terres, ces villes, ces corps, ces visages, anonymes, saisis dans leur quotidien. Beaucoup portent, charrient. Comme le père d’Aznavour tirait lui-même sa carriole. Des vies de labeur, que le chanteur observe et enregistre. Lui, le fils d’immigrés, l’Arménien chantant, le Français mondialement connu, le baladin globe-trotter. Au son de vingt-cinq de ses titres et d’une voix-off adaptée de ses cinq biographies, vocalisée par Romain Duris, les images s’enchaînent, fluides.
Une humanité bouleversante transpire de tous les plans. Une manière de saisir des enjeux quotidiens mais cruciaux, dans le travail des autres comme dans la détente avec les proches. Et quand Charles apparaît lui-même dans le cadre, la rencontre a lieu devant nos yeux. L’altérité au-delà de la notoriété. La recherche d’une immersion, d’un vécu. Ses chansons sont connues pour leur jeu avec le rythme, les contretemps, la rapidité. Une intensité parfois nerveuse, fiévreuse, qui transcende les émotions les plus simples et les plus universelles. La pudeur se révèle au gré de ces images, dans le regard sur les femmes aimées, les abandonnées comme les plus chéries. Dans l’évocation déchirante du fils disparu. La part nostalgique des témoignages du passé, et du fameux grain du Super 8, est dynamitée par la surprise de cette découverte. Un document simple, mais pourtant précieux, et qui touche à l’essentiel. Au cœur des choses. Via celui d’un homme. Shahnourh Aznavourian.