1976. C’est le deuxième procès de Pierre Goldman, figure d’extrême-gauche, accusé de plusieurs braquages – qu’il avoue – et du meurtre de deux pharmaciennes – qu’il conteste. En réveillant ce moment important de l’histoire juridique française, Cédric Kahn signe à la fois un très grand film de procès et le passionnant portrait d’une époque.
« Je suis né et je suis mort le 22 juin 1944 » lance Pierre Goldman (Arieh Worthalter) à son avocat George Kiejman (Arthur Harari). Le militant d’extrême gauche n’a pas peur des grandes phrases. Difficile cependant de lui donner tort : l’ombre de la Seconde Guerre mondiale plane sur ce procès. L’accusé est d’abord le fils d’un héros de la Résistance – et c’est ainsi qu’Alter Goldman (Jerzy Radziwiłowicz) est d’abord présenté. Mais ce dernier est aussi le fils de juifs polonais, et juif polonais lui-même bien que français, ce qui est sans cesse rappelé. D’abord par Pierre Goldman lui-même, qui est fier de ses origines et de son identité. Mais aussi et surtout, plus insidieusement, par de nombreux témoins appelés à la barre, persuadés de voir dans son visage « métèque » celui d’un assassin, fût-il arabe, noir ou juif. Un « mulâtre », dira l’un, rappelant le vocabulaire du sang pur et du sang mêlé des heures sombres de notre histoire. Ceux qui avaient vingt ans sous Vichy n’ont qu’une cinquantaine d’années lorsque se tient ce mémorable procès, et les mauvaises habitudes se perdent difficilement. Bien sûr, personne n’accuse explicitement Pierre Goldman d’être juif ou d’avoir des amis noirs. Mais, dans les regards qu’on lui lance, dans l’intime conviction des témoins qu’il ne peut être que le coupable, l’antisémitisme et le racisme sont bien présents. Et puis, n’est-il pas le coupable idéal ? Braqueur, criminel, militant d’extrême gauche, Pierre Goldman a le sang chaud, s’énerve facilement et ne tarde pas à transformer son procès en spectacle – bien qu’il dise ne vouloir s’en tenir qu’aux faits et éviter toute théâtralisation. Le bouc émissaire peut être « coupable de tout sauf de ce dont on l’accuse », rappelait René Girard. Dans son implacable mise en scène, Cédric Kahn fait de Pierre Goldman une illustration parfaite du concept analysé par l’anthropologue et philosophe dans Le Bouc Émissaire (1982)
De Saint Omer à Anatomie d’une chute, l’époque est aux films de procès. Avec ce film, construit sans flash-back ni musique, avec une exigence de sérieux, Cédric Kahn respecte les codes du genre à la lettre, l’action se déroulant quasi intégralement dans un tribunal. Grâce à une impressionnante maîtrise du montage et de l’écriture, la reconstitution est aussi sérieuse qu’haletante. Car il s’agit bien de reconstitution, et si hélas l’antisémitisme est toujours présent aujourd’hui, on aurait tort d’y voir un écho à une quelconque situation contemporaine. L’antisémitisme des années 70 n’est pas le même que celui de 2023. Et, en cherchant la vérité plutôt que l’imitation – et il faut saluer l’ensemble du casting, mais aussi les équipes de costumes, maquillage et coiffure – Le Procès Goldman nous parle de la France des années 1970. Une France dont les blessures – de l’Occupation comme de la Guerre d’Algérie – ne sont pas tout à fait refermées. Mais une France aussi où un militant de gauche peut écrire un livre en prison et en faire un best-seller. Une France dont les figures médiatiques n’ont pas peur de s’engager – on reconnaît Simone Signoret dans la salle. Une France, enfin, dont l’enterrement de Pierre Goldman, assassiné trois ans après son acquittement pour meurtre, peut réunir jusqu’à 10 000 personnes. Mais qui, aujourd’hui, se souvient de Pierre Goldman ? Avec ce film de procès sobre et maîtrisé, qui vient de recevoir le Prix de la Critique au festival De l’écrit à l’écran de Montélimar, Cédric Kahn ressuscite cette figure complexe pour nous inviter à réfléchir, avec une rare intelligence, sur l’histoire et la justice.