Après plusieurs tentatives de piètre qualité en prises de vues réelles, l’une des œuvres les plus universelles de la littérature jeunesse réussit enfin sa transposition sur grand écran par le biais de l’animation. Un modèle d’adaptation respectant l’esprit et la lettre du gentil diablotin, grâce à un subtil alliage de déférence et d’indépendance.
Selon le mot fameux de Jean-Luc Godard, le cinéma peut se définir comme « l’amour du travail, et le travail de l’amour ». Un aphorisme qui ne saurait mieux décrire le soin d’orfèvre avec lequel Benjamin Massoubre et Amandine Fredon se sont dépêtrés de la matière foisonnante des cinq volumes des aventures du plus célèbre des écoliers dissipés, sorte de petit cousin d’Antoine Doinel qui aurait échappé à une enfance malheureuse. Comme si seul un autre duo complice pouvait rendre enfin le juste hommage au génie combiné de Jean-Jacques Sempé et René Goscinny.
En adjoignant un appendice inattendu au titre, « Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux ? », Massoubre et Fredon annoncent d’emblée un pas de côté, une subtile trahison de l’œuvre originale. De fait, dans une mise en abyme facétieuse, le Petit Nicolas échappe bien vite aux rails de l’adaptation classique et linéaire d’une poignée d’historiettes existantes, pour briser le quatrième mur et dialoguer soudain avec ses créateurs, et transformer le film en un mélange de biopic de Sempé et Goscinny, et en making of de leur collaboration. Portés par un amour sincère et, partant, une connaissance précise de cette œuvre indispensable à la compréhension des Trente Glorieuses et de la transformation de la France d’après-guerre, les cinéastes font rejaillir l’élégance décontractée de Sempé et la virtuosité de Goscinny en exhumant certaines de ses plus extraordinaires trouvailles stylistiques, telles que « Je voulais aller très loin, très loin, là où Papa et Maman ne me trouveraient pas, en Chine ou à Arcachon, où nous avons passé les vacances l’année dernière et c’est drôlement loin de chez nous, il y a la mer et les huîtres ».
En s’éloignant de la cour de récréation vainement surveillée par Le Bouillon, et de la salle de classe dirigée par Mademoiselle la Maîtresse, Massoubre et Fredon bifurquent ainsi vers l’évocation d’une amitié artistique et humaine, incarnée par les voix rieuses de Laurent Lafitte en Sempé et du plus goscinnophile d’entre tous, Alain Chabat, dans le rôle de René. Le récit se fait alors voyage ludique et plein de tendresse sur les épaules des deux disparus, où Nicolas devient un Pinocchio d’encre et de couleurs, semblant réclamer le droit à devenir un vrai petit garçon, sans se rendre compte qu’il les incarne tous.
Le système minuté
Il s’agit de laisser jouer le hasard. J’ai arbitrairement décidé de noter ce qui se passe aux 7’, 42’, 70’ et 91’ minutes des films et de soumettre ces moments aux réalisateurs et acteurs venus en faire la promotion. L’idée est d’être vraiment très précise dans ces descriptions afin que mon interlocuteur puisse réagir au maximum d’éléments, selon ce qui lui importe le plus (le son, les cadrages, les couleurs, etc.). Le choix des mots a son importance également et il arrive que je me fasse reprendre, c’est très bien comme ça. Chacun s’approprie l’exercice comme il l’entend, mais au final on arrive presque toujours à parler du film de manière concrète, en contournant légèrement le train-train promotionnel. On pourrait dire que le résultat est à mi-chemin entre la bande-annonce et le commentaire audio, tel qu’on en trouve sur les suppléments DVD. Par ailleurs, ces entretiens sont « neutres » : que j’aie aimé ou non les films n’entre pas en ligne de compte, il s’agit avant tout de parler cinéma, sans a priori.