Avec Le Parfum vert, Nicolas Pariser (Le Grand Jeu, Alice et le maire) convoque Hergé et Hitchcock, et signe un film d’espionnage aussi réjouissant qu’inquiet.
Côté pile : une enquête menée autour du meurtre d’un comédien empoisonné, tombé raide en pleine représentation à la Comédie-Française après avoir prononcé deux mystérieuses phrases à l’oreille d’un camarade. Un récit parfaitement rythmé, qui lorgne avec délectation du côté de Tintin (ceux des années 1930, dont Le Sceptre d’Ottokar), Rouletabille et Hitchcock (Une femme disparaît, Jeune et Innocent, Les 39 Marches), et joue avec des rebondissements aux faux airs de prétextes.
Côté face : une réflexion sur l’Europe, l’état de ses démocraties à l’heure où les nationalismes émergent, et les effets encore vivaces du traumatisme de la Shoah dans la psyché collective, plus de soixante-dix ans après les faits.
Soit une comédie aux dialogues percutants, à la ligne claire, aux couleurs vives, à l’énergie joyeuse, qui nous embarque dans sa foulée, nous amuse et nous fait sentir, dans le même temps, de manière subtile le danger latent, tapi dans l’ombre, aussi menaçant qu’une substance radioactive, comme le suggère le dernier plan du film, ouvert et faussement désinvolte.
Au centre de cette enquête, un duo : Martin, comédien anxieux injustement accusé de meurtre (impeccable Vincent Lacoste), et Claire, intrépide et perspicace autrice de bande dessinée que l’aventure émoustille (Sandrine Kiberlain, solaire et drôlissime), d’autant plus qu’elle l’éloigne d’une mère inquiète et oppressante. Tous deux, juifs ashkénazes, font connaissance par hasard, comme aimantés l’un par l’autre. Lui n’a jamais quitté la France. Elle a vécu en Israël, où elle fut militante – « Quand t’es à gauche, tu t’élances de défaite en défaite dans un grand élan romantique », résume-t-elle -, avant de revenir au bercail avec un certain dégoût pour les mezze orientaux. Ces deux-là nous charment par leur complémentarité, qui fait fi de leur différence d’âge. L’un est angoissé, l’autre, à la fois lumineuse et parano, et tous deux promènent leur cortège de fantômes, capables parfois d’assaillir Martin, comme dans la séquence de l’arrêt en gare de Nuremberg, où la tragédie dame le pion à la comédie un court instant avant de faire place à la romance. C’est que ce récit sait habilement naviguer d’une tonalité à l’autre et trouve dans ce cocktail hanté par le passé une note à la résonance singulière. Celle qui sait, comme le faisait dans un autre genre Une jeune fille qui va bien, le bouleversant premier long-métrage réalisé par Sandrine Kiberlain, nous rappeler que si la vie et la joie doivent l’emporter, il faut aussi savoir rester conscients et vigilants.
Anne-Claire Cieutat