Inspiré de ses propres vicissitudes, Louda Ben Salah-Cazanas dresse le portrait d’un aspirant écrivain. Un personnage touchant et mélancolique pour ce premier long-métrage qui ne manque pas de charme.
Dans Illusions perdues de Balzac, dont l’adaptation par Xavier Giannoli est un des succès de l’année dernière, Lucien « monte à Paris » pour mener la grande vie. C’est un transclasse, qui passe d’un milieu à l’autre dans une ascension phénoménale. Il rencontre argent, célébrité et succès, avant de tout perdre. Dans Le Monde après nous, Labidi s’engage à peine sur ce parcours. Lui aussi est arrivé à Paris, mais il est loin d’avoir réussi ; il ne réussira peut-être même jamais. Il se démène pour tout mener de front, ses rêves d’écriture et sa vie sentimentale avec Élisa. Plus dur encore, vivre, mais surtout survivre, à Paris où il mène une vie d’étudiant précaire qui n’étudie plus, enchaîne les jobs alimentaires et partage un 9 m2 en colocation. La force du film est justement de montrer l’épuisement que génère ce quotidien. Comment se dégager du temps pour écrire quand chaque instant est une lutte pour boucler la fin du mois ?
Loin d’être misérabiliste, Aurélien Gabrielli fait de Labidi un personnage dont la mélancolie est contrebalancée par un humour piquant, qui allège le récit. La scène de rencontre avec Élisa est un sommet de maladresse et génère une empathie immédiate. Une empathie conservée tout au long du film, lorsqu’il nous emmène à Lyon chez ses parents ou se frotte à la dureté du monde littéraire. On y croise son agent et plusieurs éditeurs. Tous paraissent bien trop cyniques pour Labidi, qui n’a pas la place de glisser un mot. Ce milieu artistique est décrit de manière grinçante, sans doute caricaturale, mais non sans réalisme. C’est drôle, chacun en prend pour son grade. Même le héros, quand le titre de son livre, lui aussi intitulé Le Monde après nous, est décrit comme raté et sonnant comme un titre de film français pour bobos.
Les comédiens du film jouent une partition sans fausse note. On regrette en revanche que certains personnages soient plus effacés, notamment celui d’Élisa, qu’incarne Louise Chevillotte. Elle reste secondaire, se constitue essentiellement par sa relation avec Labidi, alors qu’elle aurait pu exister au premier plan et apporter une plus grande profondeur à l’histoire. Constat partagé avec Alekseï, le colocataire (interprété par Léon Cunha Da Costa), qui reste anecdotique bien que ses apparitions participent à l’humour du film. Pourtant, Louda Ben Salah-Cazanas arrive à se décentrer de son protagoniste par l’intermédiaire d’un très beau texte lu par Labidi. Écrit par l’auteur Abdellah Taïa spécifiquement pour Le Monde après nous, il résume presque le projet du film en posant des mots précis sur ces fameux transclasses et les difficultés inhérentes à ce changement de milieu. En ancrant Labidi dans une réalité sociale précise, la force des mots donne au film une véritable ampleur, un élan littéraire… Balzac n’est pas si loin.
Léo Ortuno
Le système minuté
Il s’agit de laisser jouer le hasard. J’ai arbitrairement décidé de noter ce qui se passe aux 7’, 42’, 70’ et 91’ minutes des films et de soumettre ces moments aux réalisateurs et acteurs venus en faire la promotion. L’idée est d’être vraiment très précise dans ces descriptions afin que mon interlocuteur puisse réagir au maximum d’éléments, selon ce qui lui importe le plus (le son, les cadrages, les couleurs, etc.). Le choix des mots a son importance également et il arrive que je me fasse reprendre, c’est très bien comme ça. Chacun s’approprie l’exercice comme il l’entend, mais au final on arrive presque toujours à parler du film de manière concrète, en contournant légèrement le train-train promotionnel. On pourrait dire que le résultat est à mi-chemin entre la bande-annonce et le commentaire audio, tel qu’on en trouve sur les suppléments DVD. Par ailleurs, ces entretiens sont « neutres » : que j’aie aimé ou non les films n’entre pas en ligne de compte, il s’agit avant tout de parler cinéma, sans a priori.