En replongeant dans son passé, Christophe Honoré signe un film au présent intense. Une plage temporelle chaotique dans la vie d’un adolescent. Et, au final, une chorégraphie existentielle terriblement émouvante.
Jamais Christophe Honoré n’a été aussi autobiographique au cinéma qu’avec Le Lycéen. De ses propres mots, depuis Plaire, aimer et courir vite, il s’« efforce d’envisager chaque nouveau projet avec une discipline de sincérité ». Un rapport à la création, et au terreau personnel, qui a débouché il y a peu sur le spectacle Le Ciel de Nantes, où il met en scène sa famille, axée du côté maternel. Une expérience réjouissante et bouleversante à la fois pour le public, dans l’immersion intime comme dans le geste artistique. Ici, le regard se recentre, tout comme la caméra peut s’approcher du visage, de la peau, de la pulsation. C’est l’histoire d’un ado de dix-sept ans, Lucas, dont le père meurt brutalement dans un accident de voiture. C’est le parcours chaotique qui s’ensuit, dans le double état de l’adolescence et de la perte tragique. Le jeune protagoniste est un reflet du propre vécu du cinéaste, mais s’avère avant tout un personnage de fiction. La Bretagne originelle est devenue région Rhône-Alpes, et les traits du garçon ont ceux de Paul Kircher, vu dans T’as pécho d’Adeline Picault et Petite Leçon d’amour d’Ève Deboise.
Son incarnation d’une jeunesse déboussolée par un gouffre soudain a séduit le jury du Festival de San Sebastian, qui l’a récompensée il y a quelques semaines. Elle marque aussi la rétine du public, par son alliance d’audace et de vulnérabilité. Lucas est un magnifique vecteur de récit, qui traverse un moment de vie tétanisant et énergisant à la fois. Avec fougue et précision, Honoré raconte la vitalité en pagaille d’un âge où tout est plus vaste qu’avant (enfant) et qu’après (adulte). Le champ des possibles et des empêchements, des certitudes et de l’inconnu, est infini. Ce paysage existentiel accidenté se manifeste dans l’écriture même, qui passe d’accélération en ralentissement, de course en prostration, d’affrontement verbal en silence. Lucas pense et tâtonne à haute voix, tout comme il vadrouille entre les environs de Chambéry et Paris.
L’hiver domine le film, et le gel menace l’équilibre mental et affectif. C’est donc avec une poignée de seconds rôles déterminants que le scénario réchauffe le héros en blouson et capuche. Le grand frère brusque et tendre, la mère dévastée et énergisante, le nouvel ami inspirant, les amants réconfortants. C’est par le ballottage et les à-coups que le chemin se fait. Le titre générique raconte un passage temporel dans la vie de nombre d’entre nous. La vérité de Lucas n’est que la sienne, mais elle peut parler à tout le monde, et ses tremblements résonnent au rythme des titres pop injectés d’hier (les années 1980) à aujourd’hui. La greffe entre la mémoire affective de l’auteur et son geste au présent a pris. Il fait bon rendre visite au Lycéen, l’accompagner du regard, avant de le laisser vaquer à son destin, deux heures plus tard. Christophe Honoré a bâti une filmographie déjà riche de vingt années de longs-métrages, qui dessinent une cartographie du Tendre, parfois radicale, parfois lyrique. Mais, finalement, toujours remise en jeu par une revendication de la vibration.