Un jardin dans une ville, une ville dans un pays, un pays dans un monde en plein chaos. Le Jardin des Finzi Contini est un film imparfait, mais sa force, quarante ans après, est tenace…
De la lumière d’été à la froidure d’hiver : c’est comme s’il n’y avait que deux saisons dans le destin des Finzi Contini, de leurs invités et de toute la population juive de Ferrare entre 1938 et 1943. En adaptant le beau roman de Giorgio Bassani, Vittorio De Sica réalise en 1970 un de ses derniers grands films.
C’est l’avancée implacable de la peste brune qui est ici à l’œuvre dans l’Italie de Mussolini, où les lois raciales empêchent soudain la jeunesse juive de jouer au tennis sur les courts publics. En réaction, Micòl Finzi Contini et son frère Alberto ouvrent grand les portes de leur jardin et de leur terrain privé à une nuée de jeunes gens vêtus de blanc et circulant à vélo. Parmi eux, Giorgio, tout ébaubi d’enfin pénétrer ce lieu mystérieux. Ce parc majestueux encerclé d’un mur, d’où il avait vu, enfant, apparaître une petite fille blonde, qui, ensuite, au hasard de rencontres épisodiques à la synagogue ou lors des examens scolaires, était devenue son amie…
L’auteur du roman avait désavoué le film, et il est couramment admis que celui-ci est une trahison, voire un échec. Certes, la surabondance de lumière dorée et les flash-back ampoulés appuient un peu lourdement le propos d’un paradis perdu. Mais le film de Vittorio De Sica est d’une beauté terrible. Dans chaque plan, chaque échange, la noirceur s’insinue peu à peu, le destin est en marche, les rues s’emplissent de sympathisants fascistes, des croix gammées apparaissent, et la forteresse des Finzi Contini, ce lieu protégé et privilégié, finira par être un matin visitée par des miliciens vêtus de noir. Ils énuméreront les noms des habitants, trois générations de Finzi Contini, qui ne sont plus qu’une liste impersonnelle et non des êtres humains. Un chant funèbre en hébreu, prière aux morts, emplit d’émotion l’espace sonore final, comme une annonce de l’inéluctable, que les images ne montrent pas encore. Enfin, la modernité du film tient aussi au personnage de Micòl, énigmatique jeune femme, intelligente et séduisante, qui se veut de chair et non seulement d’esprit. Habitée par Dominique Sanda, pure et dure, splendide et froide, généreuse et agacée, Micòl, libre et versatile, est à elle seule l’incarnation de toutes ces vies arrêtées net.