Le Genou d'Ahed

Le quatrième long-métrage de Nadav Lapid, deux ans après son Ours d’or berlinois pour Synonymes, brille par sa poigne et son brio. Son audace coup de poing aussi. Son protagoniste est son double, cinéaste nommé Y et campé avec stoïcisme et intensité par l’épatant Avshalom Pollak. Entre la préparation d’un nouveau projet, la présentation d’un de ses films dans un coin désertique reculé, l’amour remuant pour son pays et la mort en marche de sa mère, il porte en lui un tiraillement gigantesque. Celui d’être israélien, et de valser avec l’appartenance, l’attachement viscéral et le rejet d’une liberté mise à mal. Le réalisateur triture le lien entre les personnages et le regard sur une uniformisation liberticide, via une mise en scène détonante. La caméra emballe par ses chorégraphies spatiales, de panoramiques courts et rapides en 360°. L’aventure dynamise par l’utilisation de musiques pop et rock, dont le Be My Baby de Vanessa Paradis et Lenny Kravitz. Et le film tout entier questionne l’identité et l’engagement, dans des paysages rocailleux et majestueux, sous un soleil transperçant. Toutes les figures incarnent une idée, une position, et renvoient le public à sa propre place, face à l’écran, et dans l’existence. Lapid croit puissamment au cinéma, comme page blanche idéale, comme matériau malléable et comme médium d’idées. Son geste est puissant et vivifiant.

 

Olivier Pélisson

 

 

Certes il y a un geste et une volonté de cinéma dans cet autoportrait courroucé d’un réalisateur israélien préparant son nouveau film sur une jeune femme effrontée agressée sur les réseaux sociaux et présentant parallèlement une œuvre plus ancienne au fin fond de son pays. On comprend moins que, pour filmer, ce chaos à la fois intérieur et extérieur, celui d’un homme et celui d’un pays, la caméra ne cesse de faire des loopings, pour atterrir sur des gros plans d’oreille, accélérer jusqu’au bord de l’abîme et laisser les acteurs en roue libre, vitupérant de façon grotesque dans un désordre inimaginable. Le tout entrecoupé de moments musicaux, parfois très plaqués. À trop vouloir en faire, Lapid, qui n’avait réussi jusqu’ici qu’un seul grand film calme et dérangeant, L’Institutrice, repart dans ses travers les plus irritants. Si le cinéma est mouvement et son, le bruit est le sien, la fureur est la nôtre devant ce film abscons qui se tire une balle dans le pied…

 

Isabelle Danel