Le Fil

De la multiplicité de l'être humain

Un avocat s’efforce de prouver l’innocence d’un homme, bon père de famille, accusé du meurtre de sa femme alcoolique. De tous les obstacles qu’il rencontre, le recours essentiel à « l’intime conviction » se révèle à la longue le plus déroutant.

Pour sa cinquième réalisation, après ses trois Pagnol (La Fille du puisatier, 2011 ; Marius, Fanny, 2013) et Amoureux de ma femme (2018), Daniel Auteuil  a opté pour l’adaptation, coécrite par lui-même et le scénariste Steven Mitz, de l’un des cas traités par l’ancien avocat lillois Maître Mô (Jean-Yves Moyart) dans son recueil Au guet-apens : chroniques de la justice pénale ordinaire (2011). Un scénario très rigoureusement structuré, qui accumule preuves et contradictions, doutes et certitudes, tenant le spectateur en haleine de bout en bout. Et, contrairement à la tradition des films de prétoire, qui veut que tout s’achève soit dans la conviction (Autopsie d’un meurtre/Anatomy of a Murder, Otto Preminger, 1959), soit dans la perplexité (Anatomie d’une chute, Justine Triet, 2023), Le Fil enchaîne des coups de théâtre sidérants et se termine par un plan qui force le spectateur à l’interpréter (très difficilement) par rapport à l’ensemble du récit.

Ce dernier est mené très vigoureusement, Auteuil ayant eu recours à une réalisation privilégiant la visualisation à outrance de tous les éléments informatifs. Ainsi, pour les flash-back, interrompt-il un début de dialogue par la visualisation du reste du texte écrit, créant de la sorte une linéarité visuelle qui se fond dans la dynamique d’ensemble, entretenue par les très nombreux travellings avant ou arrière qui suivent les déplacements des uns et des autres. Une réalisation très réfléchie et audacieuse, sans doute la meilleure de l’acteur-réalisateur. Ce à quoi s’ajoute la qualité générale de l’interprétation. Et plus particulièrement celle des deux protagonistes. Auteuil semble se surpasser dans sa manière d’exprimer successivement les différents sentiments éprouvés par son personnage, sa passion professionnelle, sa détermination à mener à bien une véritable enquête, plus psychologique que criminelle, ses craintes devant des obstacles inattendus, sa certitude finale teintée du flou qu’implique le recours de chacun à « l’intime conviction ». Mais aussi celle de l’excellent Grégory Gadebois, qui, ici, fait se succéder toute une série, à peine perceptible, de micro-gestes et de micro-expressions d’une complexité expressive qui contribue magistralement à la composition d’un personnage difficilement cernable. De leur côté, Sidse Babett Knudsen et Alice Belaïdi, dans les courts rôles respectifs de l’ex-épouse de l’avocat de la défense et de l’avocate générale, sont tout aussi brillantes de vérité dans leur jeu. Une réussite indéniable, qui devrait inciter Daniel Auteuil à retourner une sixième fois derrière la caméra.

 

Michel Cieutat