Un portrait documentaire d’une femme ordinaire et d’exception, signé à deux regards par Olivier Peyon et Cyril Brody. De la force du grand écran quand il témoigne du monde, et qu’il filme à la bonne distance un être, en mouvement, qui s’empare du réel et prend sa destinée en main.
Autant attirés par le documentaire que par la fiction, Olivier Peyon et Cyril Brody ont associé leur savoir-faire, leur expérience et leur envie, pour suivre pendant plus d’un an une femme. Et pas n’importe laquelle : Latifa Ibn Ziaten. Une femme, épouse, mère, citoyenne, dont le destin a basculé quand son fils militaire a été assassiné par un tueur radicalisé. C’était à Toulouse, le 11 mars 2012. Depuis, elle a créé une association qui porte le nom de son garçon, Imad, beaucoup moins cité dans les médias que celui de son agresseur, Mohammed Merah. Au nom de « Imad-Ibn-Ziaten pour la jeunesse et pour la paix », elle parcourt sans relâche les routes et va à la rencontre de l’autre. Pour parler, témoigner, partager. De la parole et des mots pour (re)créer du lien social, humain, là où presque tout échoue. Et pour éviter la radicalisation.
Le credo de Latifa résonne fort. Et les quatre-vingt-dix-sept minutes du film rendent justice à l’action quotidienne de cette activiste laïque. Musulmane de confession, elle prône le dialogue interreligieux. Elle agit aussi pour transmettre l’envie aux jeunes, aux stigmatisés, aux détenus. L’envie de se battre, de se dépasser, de réussir. Comme ses tentatives à elle de toujours voir plus loin, plus gros, et de faire plier l’impossible. Sans démagogie, sans complaisance. La confiance acquise a permis aux réalisateurs d’avoir accès à l’officiel comme à l’intime. De passer d’un événement partagé avec François Hollande, alors président de la République, à l’espace de la voiture qu’elle conduit au Maroc ; du mariage d’un de ses fils, à une intervention en colloque. L’imbrication de toutes les sphères de cette militante révèle sa visée, opposée aux récupérations politiques, et prodigue toute sa force au long-métrage, qui ne masque pas les critiques et embûches rencontrées.
La caméra est à la bonne distance. Témoin, lors des discours et des rencontres. Partenaire, lors des confessions de Latifa et de ses proches. Et dans le mouvement, car cette dernière est toujours en marche. Chez elle, dans l’Hexagone, dans son Maroc natal, en Israël, en Palestine ou en Chine. Les choix narratifs et le montage ont su tirer du sens de la douzaine de mois de rushes, et ont permis de bâtir le portrait d’une femme, libre, indépendante, enthousiaste, battante. Qui a fui les diktats dès sa jeunesse, en décidant d’épouser un homme que sa famille ne lui destinait pas. En le rejoignant ailleurs, en France, dont elle a appris la langue, et dont elle porte la nationalité avec fierté. Son corps vibre et remplit l’écran, en gros plan comme en silhouette, profitant du répit sur une plage. Son action, son discours, sa présence travaillent les neurones et le cœur. Bien justement.