Jonathan Nossiter déclare son amour absolu du cinéma, sa foi dans la vérité des images. Hélas, nous nous effondrons avec ses protagonistes mourant un à un, sans avoir grand-chose à nous dire, qu’une rumination ad nauseam.
Il n’en restera qu’un. Un homme seul. Un homme noir. À la fin du monde, un homme noir sera le dernier homme : ainsi en a décidé Jonathan Nossiter, l’affublant d’une symbolique sursignifiante, parce que le continent africain est déjà le théâtre actuel d’une fin d’un monde, soutient-il, et que cet homme noir, tout entier chargé du drame des migrants, de leur vagabondage désespéré vers un asile accueillant, peut seul jouer la fiction apocalyptique du dernier survivant.
Cet homme seul, cet homme noir, à la fois narrateur en voix off et acteur moteur du récit des derniers jours qu’entreprend Last Words, inspiré du livre de Santiago Amigorena (Mes derniers mots (POL)), est incarné par Kalipha Touray. Il n’est pas acteur, il n’a jamais joué dans un film, il a fui la Namibie il y a deux ans, et il est un vrai réfugié. Jonathan Nossiter ne transige pas avec la vérité des gens, et le cinéma a beau être un mensonge, il n’entend pas pour autant trahir le réel, donc affaiblir son idée que seul un réfugié africain pouvait jouer le dernier homme.
Kalipha Touray voyage d’un Paris dévasté, où sa jeune sœur enceinte est assassinée sans qu’on sache très bien pourquoi, vers l’Italie, puis jusqu’à Athènes, lieu là encore surchargé du symbole de berceau de la civilisation occidentale, sans compter que la Grèce contemporaine est le théâtre de la tragédie des migrants, où le malheur vient s’échouer. Sur les rives de ce pays, Jonathan Nossiter donne à la mer une couleur rouge, dont on voit à l’évidence qu’elle est baignée du sang des réfugiés.
La terre est ravagée, le monde s’effondre et l’humanité décimée disparaît. Last Words a lieu en 2086. À l’échelle de l’histoire, le temps futur du nouveau film de Jonathan Nossiter n’est pas si éloigné et il est aisé de trouver, dans l’épidémie que nous traversons, le grand désordre y afférent, une apocalypse du temps présent. De cette apocalypse finalement actuelle, au cours de laquelle meurent un à un les ultimes survivants, jusqu’au dernier, l’homme noir est heureusement là pour en être le témoin : il en enregistre les images.
Jonathan Nossiter accomplit une sorte d’eschatologie cinématographique. Car l’homme noir est aussi le dernier cinéaste : il a découvert des pellicules de films venues de Bologne, et la révélation de l’amour du cinéma lui est tombée dessus. Il tourne donc les dernières images du monde. Devant sa caméra, avant que de disparaître, un casting de stars : Charlotte Rampling, Stellan Skarsgård, Alba Rohrwacher ruminent ad nauseam tout un tas de choses, sans avoir rien à nous dire. L’avant-dernier survivant est un vieux réalisateur, joué par Nick Nolte, réduit à des éructations, qui sont déjà d’outre-tombe. Son nom ? Shakespeare !
Jonathan Nossiter avec Last Words proclame son amour du cinéma, de l’ancien cinéma, avec ses bobines, comme art physique de la révélation, comme art de la transmission, de la mémoire, et aussi, comme territoire des fantômes. La machine du cinéma tourne encore, elle n’est pas morte, et elle nous survivra, et l’on est bienheureux de cette déclaration éblouie rendant hommage à la puissance évocatrice du 7e art. Sensible à cette déclaration d’un amour inconditionnel, le Festival de Cannes a inscrit le film dans sa sélection officielle 2020 avec label. Hélas, ce cinéma dans le cinéma empile des propos confus, abscons et fumeux, dans une esthétique d’une laideur affligeante : un collapsus terrifiant, dont il nous déchire de s’en sentir le spectateur indifférent.