Saïd n’est pas au mieux : il vient d’apprendre qu’il est atteint d’une maladie grave et la scierie qu’il dirige dans l’est de la France est criblée de dettes. Mais, alors qu’il s’apprête à vendre son entreprise, Saïd découvre qu’un de ses apprentis a été forcé d’y cacher une importante quantité de drogue, et que des hommes armés sont sur le point de la récupérer. Contexte social ancré, personnages terre à terre, pessimisme de fond : tous les éléments du film noir sont réunis dans La Terre et le Sang. De fait, la constance de Julien Leclercq à fabriquer des polars depuis les débuts de sa filmographie suscite assurément la sympathie. Tout comme sa façon, ici, de camper l’histoire : quelques plans, quelques phrases, et on est plongé dans ce cinéma qui n’existe plus que par intermittence, la série B (avec ses qualités et ses défauts, comme une bande originale un peu pataude). On lui sait gré également d’investir un sous-genre assez peu exploré en France, celui du thriller rural, qui fraie doucement avec le western. Après des films comme Canicule et Le Serpent aux mille coupures, La Terre et le Sang bouscule un peu les territoires du polar français. Mais ce qui frappe le plus, c’est la façon dont Julien Leclercq accompagne depuis trois films le mûrissement d’un acteur aussi talentueux qu’il est insaisissable, Sami Bouajila. Continuant régulièrement de s’afficher dans un cinéma d’auteur exigeant, le comédien se prête aussi au cinéma de divertissement (hélas pas toujours pour le meilleur). Devant la caméra du réalisateur de Braqueurs, Bouajila est en train de se transformer peu à peu en parrain du cinéma policier français, à la manière du Jean Gabin de Touchez pas au grisbi. Cette mue étonnante est un des vrais atouts de ce polar modeste mais très honnête.