Ils partent à la ville et découvrent la vilenie du monde. Cette fable sur la pureté distille des plans d’une beauté renversante.
Avec sa robe rouge et son ombrelle orange, sa barrette en forme de labyrinthe doré et ses cheveux de jais, Saltanat ressemble à une gravure, un tableau un peu naïf. Pour Kuandyk, son ami d’enfance, elle est la preuve absolue de la beauté du monde. Pourtant, autour d’eux, tout s’échine à prouver la laideur ambiante : le suicide de son père oblige la jeune femme à partir à la ville chez un oncle qui doit éponger les dettes de la famille, et veut la vendre au plus offrant…
Du sang rouge coule sur des fleurs blanches. Le premier plan de ce film fable est sans équivoque. La pureté sera bafouée, mais rien ne dit qu’elle ne se rebiffera pas à sa façon. Écrit et mis en scène par le cinéaste kazakh, Adilkhan Yerzhanov, La Tendre Indifférence du monde, dont le titre est tiré d’une phrase de L’Étranger de Camus fourmille de référence à l’art, comme refuge, et comme remède. Des livres sont cités, des tableaux apparaissent sur les murs, et la vie en est, forcément, un peu plus belle.
Il s’agit ici d’exalter la force de l’imagination, comme dans cette belle séance où Kuandyk, à l’aide d’un avion dessiné à la craie et de deux chaises, « emmène » son aimée visiter des expositions à Paris…
Chaque plan est magnifiquement composé, comme un tableau en soi. Le cadre est une prison, dans lequel d’autres lignes (des fenêtres, des portes, des containers) enferment encore et séparent les êtres. Ce qui les lie est un sentiment profond et simple, qui ne s’incarne dans rien sinon leur présence à l’autre. À la fin, c’est au pied d’un arbre qu’ils finiront leur course, résumée par deux phrases sibyllines : « C’était un mauvais projet » — « Mais une belle journée »… Comme si, après tout, l’essentiel était le chemin, pas la destination. Dans cette campagne soudain apaisée, après des salves de coups de feu, leurs deux mains, pour la première et la dernière fois, se touchent.