Antoine Chevrollier s’impose sur grand écran avec son premier long-métrage. Brillamment révélé par ses réalisations cathodiques, il mène avec La Pampa une épopée juvénile qui décoiffe. Il ose les grands sentiments et les destins qui débordent du cadre, dans un récit déchirant et revigorant.
La fluidité de La Pampa emporte le regard. Fluidité de la narration, qui suit un personnage vecteur, Willy, en faisant un décrochage momentané et crucial par son acolyte Jojo. Fluidité de la mise en scène, déterminée, qui décoche sa flèche avec l’énergie de la première scène, et ne la lâche plus jusqu’à la résolution du parcours. Entre les deux, les bouleversements émotionnels rythment le vécu des protagonistes et la chronique d’une amitié fusionnelle. Le tatouage qui réunit les avant-bras des deux ados raconte tout. L’attachement dans la peau, la symbiose, la loyauté, l’hypersensibilité. Ce premier film long au souffle rare raconte un territoire rural, isolé de la grande ville, à qui il rend sa lumière et sa beauté, sans fioritures, mais nourrie de vitalité. Antoine Chevrollier compose une fresque réaliste et romanesque à la fois, où les couleurs vives du directeur de la photographie Benjamin Roux incarnent la pulsion de vie qui rayonne, et où les accords sidérants des frangins Evgueni et Sacha Galperine scandent les pulsations organiques et les trajets sur les routes.
Nourri de sensations autobiographiques, sans pour autant retracer à la lettre la jeunesse de son auteur, La Pampa baigne dans un monde où l’injonction et l’exclusion s’avèrent tragiques et marquent au fer rouge. Conditionnement et déterminisme peuvent étouffer les êtres en train de grandir, et l’unique solution à leur salut reste parfois la sortie de route. Quelle qu’elle soit. Le titre de l’œuvre vient du nom du véritable terrain de motocross qu’observait le jeune Antoine Chevrollier, retourné filmer dans son village angevin d’origine. Avec générosité, il invite le public à accompagner ces personnages au cœur battant si fort. Des enfants – des moins chanceux en horizon sociétal (Jojo), aux privilégiés, car culturellement reliés à l’ailleurs (Marina), en passant par ceux qui vont tenter de s’extraire (Willy) -, aux parents, coincés dans leur monomanie obsessionnelle (David, campé par Damien Bonnard, épatant d’aveuglement bouillonnant) ou bienveillants malgré le deuil omniprésent (Séverine, à qui la formidable Florence Janas confère une subtilité bouleversante).
Qui dit film sur la jeunesse, dit incarnation cruciale. Précis dans sa direction d’acteurs, le réalisateur a rappelé l’interprète de sa mini-série Oussekine. Sayyid El Alami sidère en Willy, observateur et déterminé, capable de passer du doute à la colère, de la fébrilité à la résilience. Face à lui, Amaury Foucher irradie dans son premier rôle, Jojo, tête brûlée au cœur pur. Autour d’eux encore, Antoine Chevrollier a su diversifier les énergies, d’Artus, qu’il retrouve après Le Bureau des légendes, dans une composition à cran et plus signifiante par le corps, à Léonie Dahan Lamort, vibrante et lumineuse dans la peau de Marina. Le cinéaste et ses scénaristes Bérénice Bocquillon et Faïza Guène ont su faire frémir la complexité, et l’enchevêtrer dans un récit d’apprentissage qui résonne avec le chemin du cinéaste, devenu celui qu’il est en autodidacte. Pas facile de débarquer après tant de films de coming of age, teen movies, mélodrames et westerns ruraux. Révélé à la Semaine de la Critique à Cannes, et triplement primé au festival Premiers Plans d’Angers, La Pampa envahit l’écran par son humanité, à hauteur d’adolescence, par sa puissance émotionnelle, et par sa capacité à embrasser la vigueur malgré la douleur.