Les p’tites bêtes qui montent, qui montent, envahissent enfin les grands écrans. Une aventure extrême et made in France, pour un premier long-métrage singulier, et réalisé par un cinéaste à suivre, Just Philippot.
Le cinéma de genre reste un terrain encore peu défriché par la production française. Question de moyens, car nécessitant moult effets spéciaux et budget adéquat. Question de tradition et de culture, l’Hexagone restant enclin à la comédie, au drame, au film d’époque et au polar. Le fantastique, la science-fiction, l’épouvante, l’horreur, sont toujours l’apanage de l’étranger, Amérique du Nord et Asie en tête. Mais les tentatives tricolores existent et se multiplient ces dernières années, sous l’impulsion de diverses initiatives. La Nuée en fait partie, heureuse rencontre entre des producteurs (Thierry Lounas et Manuel Chiche), des scénaristes (Jérôme Genevray et Franck Victor) et un réalisateur (Just Philippot), dans une approche peu valorisée au pays de la Nouvelle Vague, où cinéaste rime avec sacro-saint auteur. Ici, on retrouve toute une chaîne d’artisans, dont la combinaison d’envies et de savoir-faire a abouti à ce projet modeste et impressionnant à la fois.
L’aventure ose et innove. Elle imbrique portrait de femme, drame familial, chronique naturaliste, thriller agricole et film-catastrophe. Elle surfe sur une vague d’influences diverses, de La Mouche à Petit Paysan, des Oiseaux aux Dents de la mer, avec aussi une scène référence à un autre Spielberg de grosse bête : Jurassic Park. Une force de conviction domine, dans la manière dont l’écriture et la caméra suivent pas à pas l’avancée de l’héroïne Virginie, de la ténacité pour la survie de son foyer jusqu’à l’obsession. Les œuvres hybrides sont casse-gueule, mais peuvent s’avérer fortes quand elles réussissent comme ici à fusionner le réalisme au surnaturel. Le succès vient du travail sur le glissement progressif. Une bascule motivée par une réalité économique, qui dérive vers la pathologie mentale et physique. L’invasion, dans tous les sens du terme, saisit. La précision sur les effets aussi, en mêlant trucages sur le tournage et en postproduction, visuels comme sonores. Plus la protagoniste s’enferme dans son schéma psychotique, plus les insectes prennent de l’ampleur dans les serres et nasses, jusqu’au dôme géodésique. De l’art de la greffe matérialisée.
Judicieuse conviction également de ne pas choisir des têtes d’affiche très identifiées, mais des interprètes encore neutres aux yeux du grand public. Vibrants et physiques, Suliane Brahim (Comédie-Française, la série Zone blanche) et Sofian Khammes (Chouf, Le monde est à toi) racontent en prime, par leurs origines, une France d’aujourd’hui et naturellement représentative du secteur souvent traditionnel de l’agriculture. Ils sont la colonne vertébrale de ce récit qui monte en intensité. Qui ravit enfin par la preuve que la peur n’a pas besoin de s’incarner dans une seule créature, ostensiblement effrayante, mais passe par la multitude d’une espèce a priori inoffensive pour l’être humain. Les gros plans sur les sauterelles (et plus précisément criquets migrateurs) résonnent de plus en plus étrangement au fur et à mesure que la gangrène prend. La Semaine de la Critique a lancé l’essaim en 2020. Les festivals de Sitges et Gérardmer l’ont doublement primé. La nuée est bel et bien là. Ouvrons-lui les bras.