Amenée à réaliser un court documentaire sur ses parents divorcés, une apprentie cinéaste les filme évoquant les souvenirs de leur rencontre. Des souvenirs qui les font renouer autant avec leurs grands élans d’autrefois qu’avec les causes de leur séparation.
Un très beau film au scénario parfaitement charpenté, aux dialogues quasi autobiographiques, à la réalisation d’une grande sobriété esthétique et à l’interprétation magistrale, alternant pondération, éclats, désarroi. Une réussite due à une implication éminemment personnelle d’Agnès de Sacy, scénariste expérimentée à laquelle on doit vingt-quatre scénarios écrits depuis 1999, dont ceux des Estivants de Valérie Bruni-Tedeschi (2018) et des Jeunes Amants de Carine Tardieu (2022). Des films à la sensibilité et aux thèmes proches de ceux qu’elle développe beaucoup plus profondément dans ce premier long-métrage, après deux courts, Je ne comprends pas en 2000 et L’Héroïque Cinématographe, coréalisé avec Laurent Véray en 2005.
Une implication personnelle déjà manifestée en 1992, quand, tout juste diplômée de la FEMIS, Agnès de Sacy avait accepté de participer au programme intitulé Filmer vos parents, lancé par Arte en 1992, à l’attention des étudiants issus des écoles de cinéma européennes. C’est ainsi qu’elle eut l’idée de demander à ses parents, divorcés depuis quinze ans, de lui raconter leur rencontre. Le producteur Philippe Godeau (dont Agnès de Sacy avait coécrit les scénarios de trois réalisations) lui a conseillé de reprendre le thème de ce documentaire d’une quinzaine de minutes pour en faire un long-métrage. De surcroît marquée par la confession de son père, qui lui avait révélé sa douloureuse homosexualité, la scénariste se devait d’exorciser cet imbroglio familial. Ce qu’elle fit en imprégnant son récit autant de réel que de romanesque. Ne lui restait plus qu’à trouver les interprètes à même d’incarner ses proches, transformés en personnages de fausse fiction.
Isabelle Carré connaissait son documentaire et avait interprété l’un des personnages féminins qu’Agnès de Sacy avait coécrits pour Cherchez Hortense de Pascal Bonitzer (2012). Elle ne pouvait qu’être intéressée par celui d’Ana, jeune femme incertaine, perdue, mais toujours en quête d’espérance et d’ajustement. François Damiens, à la personnalité très différente (star belge du comique débridé), qui avait été le père tourmenté Des nouvelles de la planète Mars de Dominik Moll (2012), trouvait dans le personnage d’Yves une occasion d’approfondir son registre dramatique. Ce à quoi il est parvenu à force de multiplier ses réflexions sur la psyché complexe du mari d’Ana, dignes de celles fournies par un acteur formé à l’Actors Studio. Claire Duburcq dans le rôle de Cécile, qui, à cause de son film de fin d’études à la FEMIS, provoque le retour chez ses parents de leur flamme d’antan, se révèle très convaincante dans la manière très spontanée qu’elle a de signifier l’incapacité de son personnage à comprendre les comportements inattendus de ce couple peu ordinaire.
Un casting d’une justesse impressionnante, qui ne pouvait que procurer une vérité intense à cette biographie autant imaginaire que réaliste. D’où le touchant plan final montrant le père de la cinéaste peignant une aquarelle et un autre de sa mère sur l’écran d’une table de montage de 1992. Une œuvre introspective d’une grande sensibilité, engendrée également par le soin méticuleux apporté aux cadrages précis et épurés des plans majoritairement fixes, ainsi qu’à la bande sonore où alternent un ensemble quasi musical des sons propres à l’environnement de cette région des Pyrénées-Orientales et la très sobre « musique d’intérieur » de Grégoire Hetzel. Un début tardif, mais très prometteur dans la réalisation de long-métrage.
Michel Cieutat