Depuis toujours, Yolande Moreau a la poésie chevillée au cœur. Dans La Fiancée du poète, qu’elle réalise et dans lequel elle tient le premier rôle, elle joue entre les rimes et la prose, la liesse et la mélancolie.
Vingt ans après après Quand la mer monte…, coréalisé avec le directeur de la photographie Gilles Porte en 2004 et qui avait obtenu le César du meilleur premier film en 2005, ainsi celui de la meilleure actrice pour la performance magistrale de Yolande Moreau, l’artiste belge et décalée revient avec La Fiancée du poète, qu’elle réalise et dans lequel elle incarne le rôle-titre.
Cette fiancée crève l’écran dès les premières secondes du film, et pendant de longues minutes. En silence. Telle une adolescente hésitante et mystérieuse, Mireille revient au bercail. Rapidement, dans la grande maison jadis cossue, mais désormais délabrée qui l’a vue grandir, elle s’entoure de locataires, loufoques, fragiles comme elle… : un étudiant aux Beaux-Arts (Thomas Guy), un ouvrier communal (Grégory Gadebois), et un cow-boy américain des temps modernes (Estéban), un cerf statutaire cohabitent avec enthousiasme, rejoints par un poète ressuscité (Sergi Lopez). Au fil des jours, des semaines, Mireille s’improvise châtelaine de ce bac à sable géant, où les vivants mentent pour se consoler, pour se protéger, pour survivre. Le faux raconte le vrai. La sirène Yolande Moreau chante magnifiquement faux.
La passion toute particulière de Yolande Moreau pour l’art et la vie étaient déjà spectaculaires dans son interprétation particulièrement émouvante de la peintre Séraphine de Senlis, sous la direction de Martin Provost, qui lui avait valu en 2009 son second César de la meilleure actrice. On retrouve, dans La Fiancée du poète, toute l’humanité et le décalage qui la caractérisent. Sa longue chevelure est poésie. Les hommes qui trichent sont poésie, la musique est poésie, le faux est poésie.
« J’ai voulu faire un conte poétique et politique », dit-elle. Il est dès lors naturel qu’autour d’elle on retrouve ses vieux compères comédiens et amis François Morel et Philippe Duquesne – un cadeau pour le spectateur qui a grandi avec les Deschiens. Pour mettre en scène et en lumière les aspérités de ces âmes fragmentées, la réalisatrice s’est entourée d’Irina Lubtchansky pour l’image, de Jean-Pierre Duret au son, de Guerric Catala au montage, du décorateur Marc Philippe Guérig. On découvre avec étonnement et plaisir un William Sheller excessif et jubilatoire, dans son premier rôle au cinéma.
La fiancée laisse la Nature s’exprimer, et la nature humaine se dévoiler. Yolande Moreau, elle, nous raconte une forme de folie douce, une résistance individuelle, collective, alternative, qui laisse loin derrière les modèles formatés, le prêt-à-consommer, le vite regardé, rapidement oublié. Elle fait, du merveilleux mensonge que le cinéma symbolise, une œuvre empreinte de vérité. Elle est, corps et âme, l’incarnation d’une vérité profondément humaine. Nous sommes tous des menteurs. Sauf elle. Elle est l’innocence, la beauté et la douceur dont notre monde tend à cruellement manquer en ce moment.