Porté par un scénario aussi imprévisible que déroutant, La Dernière Vie de Simon est un premier film inclassable sillonnant différents genres. La preuve que le cinéma français ne se réduit pas uniquement aux mises en scène intimistes et aux sujets sociétaux.
Un sanctuaire d’enfants, dont aucun secret n’aurait dû s’échapper. Dans le grenier d’une maison charpentée et cossue, sous une cabane douillette de draps colorés, Thomas et Madeleine s’abritent avec leur ami Simon pour sceller un pacte éternel. Le contrat est clair : Simon sera leur frère s’il révèle une information que personne ne sait sur lui. Simon est orphelin et la promesse d’un tel lien le galvanise. Il s’exécute. Sa confession a de quoi surprendre.
L’histoire aurait pu se résumer à ce jeu d’enfants inoffensif, à cette confidence inavouable. On aurait suivi une fratrie soudée ou chamailleuse au fil des années, qui fête ses anniversaires en famille. Mais, très vite, un drame rend cette hypothèse caduque. Loin d’obscurcir le récit, cet événement ouvre au contraire un jouissif champ des possibles, que le réalisateur Léo Karmann et sa coscénariste Sabrina B. Karine explorent avec bonheur.
Dès lors, Simon pourra prendre l’apparence de Thomas et vivre une existence différente de la sienne. Il faut dire que par leur seul regard, Thomas et Simon suscitent une impression de similitude. Cette performance d’acteurs (Benjamin Voisin en Simon et Martin Karmann en Thomas) ajoute au jusqu’au-boutisme du propos général, original et courageux. Chassé-croisé identitaire et amour incestueux : le film établit la possibilité d’une reconnaissance des âmes par-delà les normes sociales.
Restait une crainte à déjouer : la crédibilité des transformations de Simon. Ici, nul gadget ou trucage grotesque. Le changement de corps s’intègre avec fluidité dans le récit grâce à la technique du morphing 2D, basée sur l’emploi de visages réels.
Péripéties à l’effet boule de neige et intrigue faussement naïve : La Dernière Vie de Simon s’inscrit dans la digne lignée des contes cruels intemporels, E.T de Steven Spielberg en tête. Par sa musique enveloppante même en plein tumulte, sa lumière chaude éclairant les personnages d’un ton immaculé, la fable, même quand elle est grave, ne disparaît jamais vraiment.
En prolongement de Peau d’âne (Jacques Demy, 1970), qui, en son temps, explorait la question de l’inceste entre père et fille, Léo Karmann poursuit une réflexion bienvenue et pas si fréquente à l’écran sur les liens marginaux unissant parfois les êtres.