Fruit de la complicité parfaite entre sa réalisatrice, son équipe et ses acteurs, La Déesse, comme l’appellent les Canadiens, est un chef- d’œuvre cinématographique à l’empreinte rétinienne et sonore indélébile.
La Déesse des mouches à feu s’inspire du livre éponyme de Geneviève Pettersen, best-seller québécois à sa sortie en 2014 (publié en France aux Éditions Points le 1er avril 2021). À mi-chemin entre l’enfance et l’âge adulte, il réunit toutes les affres de l’adolescence : l’héroïne, Catherine, a 16 ans. Anaïs Barbeau-Lavalette filme les explorations, les premiers émois amoureux et sensuels, les victoires et les humiliations d’une jeune fille en perte d’innocence. Avec le divorce fracassant de ses parents totalement inconscients en toile de fond, Catherine découvre les drogues, se perd dans une insouciance forcée et se cherche sans se trouver.
Si Anaïs Barbeau-Lavalette, qui est une enfant du cinéma, est surtout connue pour ses films documentaires et ses fictions (dont Inch’Allah, sorti en 2012), elle est par ailleurs romancière. C’est avec la scénariste Catherine Léger qu’elle a adapté La Déesse des mouches à feu, dont la lecture l’avait terrassée. Avec une grâce et une maîtrise rares, elle utilise la puissance du plan rapproché pour mettre en scène la délicatesse fébrile des sensations de Catherine. La bande originale oscille entre Bowie, le groupe Offenbach, des morceaux phares de la décennie 90 (Hole, The Breeders, Portishead, entre autres), la musique originale de Mathieu Charbonneau et des titres inattendus, qui créent la surprise.
Autre immense atout du film, l’ingénieur du son Sylvain Bellemare, oscarisé pour Premier Contact de Denis Villeneuve, dont le travail autour de l’eau vient mettre en exergue les expériences de Cat. En assistant à la chute de ces adolescents qui se noient collectivement, symboliquement et littéralement, on a le souffle coupé.
Par l’image, faite de nets et de flous, de contrastes et de légèreté (la photographie est de Jonathan Decoste), par l’interprétation et la direction d’acteurs tous d’une beauté et d’une justesse vertigineuses, par le montage onirique de Stéphane Lafleur, La Déesse aimante le spectateur. Le résultat, tout simplement bouleversant, vient rejoindre la liste des grands teen movies indépendants et authentiques, à la hauteur de Call Me by Your Name de Luca Guadagnino (2017) ou Le Monde de Charlie de Stephen Chbosky (2012).
Anaïs Barbeau-Lavalette signe là une adaptation à la fois respectueuse et personnelle. Du grand art qui tord le cœur, un sens du réalisme forcené, et impudique, cruel et désespérant comme l’adolescence, tout en étant d’une grande tendresse, La Déesse des mouches à feu est, certainement, un film à voir et à revoir, avec ou sans ses ados.
Mary Noelle Dana