La part d'enfance rémanente d'Isabelle Huppert dans La Daronne
Certains films possèdent des doubles fonds aux attraits plus scintillants que la surface qui les recouvre. Ainsi en est-il de La Daronne, l’adaptation du roman de Hannelore Cayre par Jean-Paul Salomé. À première vue, voici le portrait d’une femme arabophone employée comme interprète par la brigade des Stups, et regardée avec beaucoup d’amour par son chef de service (Hippolyte Girardot). Ce versant-là du film souffre d’un télescopage de situations souvent prévisibles et d’une bande originale envahissante. Mais il y a une autre manière d’envisager le dispositif de cette histoire et son héroïne à la double vie, et celle-là est autrement souriante.
Dans ce film, comme dans La Dentellière de Claude Goretta, La Cérémonie de Claude Chabrol ou Villa Amalia de Benoît Jacquot, Isabelle Huppert semble faire émerger la part d’enfance rémanente en elle, celle qui traverse à la manière d’un fil d’or discret la quasi-totalité de sa filmographie et qui vient créer un contrepoint frémissant à la supposée froideur de certains de ses personnages. C’est souvent à travers son regard grand ouvert, sa manière de hausser le menton, sa démarche – surtout si elle porte des talons plats – et sa silhouette juvénile que se fait sentir cette énergie enfantine.
Dans La Daronne, Isabelle Huppert joue le rôle d’une femme à la fois forte et fragilisée. Patience Portefeux, qui peine à joindre les deux bouts pour maintenir sa mère en maison médicalisée, est animée par le goût de l’aventure et de la dissimulation. « La Daronne » dealeuse de drogue en laquelle elle se transforme, arbore un déguisement bigarré, trouve sa verticalité et une ampleur dans sa démarche dès lors qu’elle endosse ce rôle et son costume – djellaba, foulard, lunettes-écran ostentatoires -, se farde, transforme sa chambre à coucher et sa cave en jardin secret, et cultive celui-ci avec l’élan d’une enfant pleine de vitalité. L’actrice semble jubiler dans ce rôle. Elle navigue avec aisance du monde de la légalité à celui de l’illégalité et fait de la transgression le moteur manifeste de son personnage.
Nous avons évoqué cet aspect du film avec Isabelle Huppert et Jean-Paul Salomé :
Voici un extrait de la lettre délicate du cinéaste Michel Deville (La Lectrice, Nuit d’été en ville, La Maladie de Sachs) adressée à Jean-Paul Salomé. Michel Deville a dirigé Isabelle Huppert en femme enfant séductrice et perverse dans Eaux profondes en 1981.