Daniel, délinquant violent, se passionne pour la religion catholique et la prêtrise depuis sa rencontre avec l’aumônier du centre de détention où il purge sa peine. Alors qu’il vient d’être placé en semi-liberté, il se retrouve, à la suite d’un mensonge devenu trop gros pour être avoué, le curé d’une paroisse en mal de prêtre. Adapté d’une histoire vraie, La Communion est une passionnante réflexion sur la foi et la religion.
La Communion commence comme un coup de poing. Un plan large nous montre plusieurs hommes coupant des morceaux de bois, de part et d’autre du cadre, dans ce qui ressemble à un atelier de menuiserie. Soudain, l’un d’eux, Daniel (Bartosz Bielenia), se détache du groupe et s’approche de la caméra. Il est maintenant en gros plan, le point est fait sur son visage, les autres hommes restant dans le flou, à l’arrière. Il regarde au loin, surveille. Dans le fond, plusieurs hommes se jettent sur un autre, et – c’est à peine si on comprend ce qui est en train de se passer – le déshabillent et le violent. Tout cela est rapide, rodé. On sent que ce n’est pas la première fois. La victime, effrayée, traumatisée, se débat à peine, comme si elle savait qu’il n’y a, de toute façon, rien à faire. Ouvrant ainsi son film, avec un plan aussi virtuose que violent, brillant et horrible, Jan Komasa prévient, avec l’assurance d’un Lazlo Nemes : on sent, dans l’intention de La Communion, l’envie d’un « grand film ». Dommage que, par la suite, le film soit dans sa forme plus classique que ce qu’annonce cette ouverture.
Quelques passages font toutefois exception. Ceux où Komasa s’attarde avec passion, comme il le fait déjà dans ce tout premier plan, sur le visage de son personnage. Osseux, sec, les yeux très clairs et exorbités, il a l’air d’une petite frappe, quelque part entre le junkie et le néonazi, le genre de gars qui fait changer de trottoir. Mais mettez-lui une soutane, et c’est le Christ en personne, beau comme un jeune prêtre appelant l’aumône dans la pub d’un diocèse, un regard de pureté et de miséricorde, la maigreur d’un moine franciscain faisant sacrifice pour les plus démunis. Les sourcils froncés, l’air méfiant, il est parmi ses compatriotes criminels un personnage violent et malfaisant. Devant une assemblée de fidèles, c’est le sourire de la bienveillance et du pardon universel qui se lit sur ses lèvres, il est un torrent de bonté et de compréhension. Devant la caméra de Jan Komasa, Daniel est le diable, Daniel est Dieu. Il est finalement l’allégorie d’une Pologne où l’omniprésente Église catholique sauve et condamne et où il suffit de porter le clergyman, le col romain, pour passer de rejeté à respectable.
La paix du Christ
On retrouve dans La Communion un scénario très efficace, mais au refrain connu, presque parabolique. Une petite communauté. Un étranger, tantôt messie, tantôt paria. Une division. Une réconciliation. S’il est finalement moins radical et plus consensuel qu’attendu, le film de Jan Komasa n’en reste pas moins une passionnante réflexion sur la religion. Connaissant très mal les rites, Daniel devient un curé atypique, suscitant les passions. Sa vision du culte n’est poussée que par un objectif : la résolution des problèmes individuels et collectifs. Pourtant, son approche naïve du catholicisme, débarrassée de la ritualité qui permet la distance entre le paroissien et l’abbé, le transforme presque en gourou. Et si le film dépeint Daniel comme un parfait homme de bonne volonté, ne cherchant que le bien pour sa paroisse – comme si la prêtrise avait été sa seule rédemption face à sa nature violente, et le presbytère le seul endroit où il se sente être au monde – il laisse naître en nous cette interrogation. Et si Daniel avait été vraiment mauvais ? Si, plutôt qu’un ange déguisé en diable, il était un démon déguisé en dieu ? Bien sûr, le commentaire de Komasa sur la religion est peu surprenant, rappelant les vertus premières et essentielles de la foi chrétienne face à une Église souvent corrompue. Mais, presque malgré lui, en transformant son voyou en gourou passionné, Komasa dépeint à travers les lignes de sa Communion, la naissance, ici finalement avortée, d’une secte. Dans une religion séculaire comme le catholicisme, on peut juger ennuyeuse, rébarbative, cette manière si ritualisée de dire la messe, de porter la parole d’Évangile. Pourtant, et La Communion en est aussi le rappel, elle est cette frontière qui sépare les prêtres des prédicateurs, les curés des sermonneurs. Qui sépare les hommes de Dieu. Et du diable.