Sur l’île sauvage et robuste de Lewis, en Écosse, entre landes inhospitalières et rochers éternels, Bouli Lanners romance un amour hors du temps. Quelque part entre la littérature d’Emily Brontë et le cinéma de Jane Campion.
Ancrés dans un vaste paysage à la beauté austère, sous un ciel infini, des hommes travaillent une terre de landes couchées par les vents. Un western pourrait commencer avec les premières images à la temporalité indécise – mais dans quelle époque est-on ? – de L’Ombre d’un mensonge. Mais c’est une autre histoire que raconte la cinquième réalisation de l’acteur belge Bouli Lanners (Ultranova ; Eldorado ; Les Géants ; Les Premiers, les Derniers) : une histoire d’amour douce.
L’Ombre d’un mensonge prend place sur une île, dont le paysage jette des ponts dans notre tête cinéphile avec Farö, l’île suédoise de Bergman. L’île du film de Bouli Lanners est écossaise, c’est Lewis, dans l’archipel des Hébrides, au large de la côte ouest de l’Écosse. Il y revient chaque année, depuis sa jeunesse.
À Lewis, Millie (Michelle Fairley), la cinquantaine, célibataire, vit une histoire d’amour improbable avec Phil, un Belge en exil (Bouli Lanners). Les landes de Lewis sont semblables aux landes désolées du Yorkshire des Hauts de Hurlevent, et comme dans le roman d’Emily Brontë, des familles en harmonie avec leur environnement voient leur vie perturbée et changée par un étranger.
C’est un amour transgressant des lois religieuses archaïques et des dogmes inflexibles : Millie, la pieuse protestante, a menti à Phil, l’amnésique. Le mensonge est un péché. Profitant de son oubli, elle lui a assuré qu’ils étaient amants ; ils le redeviennent, naturellement. Par ce mensonge, Millie se dégage de l’emprise d’une église presbytérienne au rigorisme implacable, pratiquant un calvinisme fondamentaliste. Se libérant des préceptes suivis par la communauté des croyants de Lewis, elle entre enfin dans l’âge adulte des désirs et de la sexualité.
L’Ombre d’un mensonge trace ainsi la voie d’un récit de libération, sans que Bouli Lanners promeuve un féminisme forcené et asséné. De ce monde à la religiosité étriquée, à sa manière dur et cruel, Millie, tout en maladresses hésitantes et confusion des sentiments, s’émancipe sans éclats. L’actrice Michelle Farley nuance avec une finesse précise ce rôle de femme à la dignité constante. Elle n’est pas enrôlée en porte-drapeau d’un féminisme de vindicte et de renversement radical. La liberté de cette femme est une conquête tranquille, secrète.
Cette romance élémentaire, presque naïve à force de retenue et de pudeur, ne force jamais le débordement amoureux. Une forme de timidité adolescente retient les élans. Bouli Lanners n’exhibe pas une sensualité démonstrative : c’est un entrelacement de gestes suspendus, de regards de côté, de frôlements. Les étreintes épousent l’ascétisme de ce monde insulaire, clos sur lui-même. L’héroïne reste malgré tout enfermée dans le carcan étroit de Lewis, aux mentalités bornées : on n’échappe pas à son destin si on ne s’éloigne pas de son territoire d’appartenance.
Bouli Lanners construit avec L’Ombre d’un mensonge un récit simple et dégagé. Sans jamais juger, encore moins condamner un obscurantisme religieux interdisant la liberté d’aimer par-delà les convenances. Bouli Lanners porte sur la communauté presbytérienne de Lewis un regard bienveillant.
Histoire d’amour caché, pleine de sentiments étouffés, de désirs et de craintes, L’Ombre d’un mensonge fait remonter le souvenir de La Leçon de piano de Jane Campion : le rôle taiseux et expressif de Michelle Fairley rappelle le jeu muet d’Holly Hunter dans le chef-d’œuvre de la réalisatrice néo-zélandaise, dont Bouli Lanners, avec son film, prolonge le romantisme intègre, la pureté indiscutable, l’exploration du désir féminin.
L’Ombre d’un mensonge ressemble à son auteur, Bouli Lanners, à l’humilité nécessaire qu’il pose en idée essentielle de son cinéma, à l’humanité altruiste qui le conduit au respect et à l’intégrité.