L’Histoire de Souleymane

Combattre l’indifférence

C’est un film que l’on suit le souffle coupé, une heure et trente-trois minutes durant. L’Histoire de Souleymane est un thriller urbain haletant aux allures de documentaire, qui résonne très longtemps encore après son générique de fin.

Tout, dans l’écriture, la facture visuelle et sonore, comme dans l’interprétation de ce film, est conçu pour mettre notre sens empathique en action et nous faire éprouver, émotionnellement, physiquement, psychologiquement ce qu’endurent les personnes en situation irrégulière et en lutte pour leur survie.

Soit ici un petit groupe de réfugiés arrivés à Paris, au centre duquel Souleymane, venu de Guinée, dont le titre de ce film souligne d’emblée l’existence. Alors que tant de migrants restent dissous dans une masse anonyme, Souleymane, lui, a un prénom, une identité – la même, d’ailleurs, que le personnage de La Tête froide de Stéphane Marchetti, film approchant le même sujet, sorti en janvier dernier. Et l’on sent que c’est là un geste politique, humaniste, que le choix de ce titre classique en apparence.

D’un bout à l’autre de ce récit haletant, on épousera le mouvement quotidien de Souleymane sur son vélo lancé à toute vitesse pour réaliser quelques livraisons via le compte d’un tiers, suivre les conseils d’un coach qui le prépare à mentir lors de son audition à l’Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides), ou pour attraper le bus qui le conduit au dortoir où il passera la nuit. La vie de Souleymane est un enfer pavé d’obstacles permanents qu’il foule le dos droit et la tête haute, déterminé à tenter sa chance pour obtenir ses papiers coûte que coûte.

L'Histoire de Souleymane. Copyright Pyramide Distribution.

Après deux documentaires tournés au Vietnam, Ceux qui restent et Les Âmes errantes, et deux longs-métrages de fiction réalisés sur le sol africain, Hope et Camille, Boris Lojkine, normalien et agrégé de philosophie, creuse son sillon : son cinéma, travaillé par la guerre et les situations extrêmes, est poignant, remuant, mobilisant. Pour écrire le scénario de L’Histoire de Souleymane (qu’il cosigne avec Delphine Agut), il a effectué une copieuse enquête de terrain et rencontré de nombreux livreurs parisiens sans papiers. Il s’est aussi inspiré de la propre vie de son interprète, Abou Sangare, primé au dernier Festival de Cannes dans la section Un Certain Regard et dont la situation aujourd’hui n’est toujours pas régularisée. Abou Sangare est pour beaucoup dans la réussite de ce film, qui repose sur ses épaules : sa présence, ses regards, sa photogénie, sa justesse de jeu, ses silences habités sont bouleversants. Derrière la caméra, l’équipe technique image et son, qui a tourné à vélo, réussit également un tour de force : faire converger le cinéma et le réel et porter cette émulsion à son point de juste équilibre.

Avant de quitter Souleymane, nous assisterons à son dialogue avec une employée de l’administration incarnée par Nina Meurisse, grande actrice que Boris Lojkine avait déjà dirigée dans Camille. On ne dira rien de cette séquence si ce n’est qu’elle est inoubliable.

L’Histoire de Souleymane dessille le regard et aide à combattre l’indifférence. Un film important, essentiel même en ces temps de remous démocratiques.

 

Anne-Claire Cieutat