Vers une école désirable
Les documentaires et fictions consacrés à l’école et à l’éducation sont nombreux à sortir en salle depuis la rentrée. Des films portés par l’engagement sans borne des enseignants qu’ils donnent à voir ou le désir d’influencer un modèle éducatif plus approprié à notre époque.
Le sujet est si crucial qu’on se réjouit quand le cinéma s’en empare et qu’on espère à chaque occasion qu’il influencera les consciences décisionnaires. L’enseignement tel qu’il est majoritairement pratiqué en France, et ailleurs, est obsolète. Or, l’avenir de notre société en dépend. Dans son passionnant ouvrage, Apprendre au XXIe siècle, le chercheur en éducation François Taddei résume la situation : « Savez-vous (…) qu’il n’existe aucune loi scientifique qui prouverait qu’il est plus efficace d’apprendre entre quatre murs, en groupes de 25-35, avec un seul enseignant, à raison de 50 minutes par discipline ? Savez-vous que ce système, auquel l’école républicaine semble si farouchement attachée, a été inventé au XVIe siècle par les jésuites, dont Dominique Salin, jésuite lui-même, rappelle qu’ils sont « à l’origine du modèle éducatif de l’enseignement secondaire, tel qu’il fonctionne aujourd’hui en Europe, et dans la plupart des pays du monde ». Soit des élèves regroupés par niveau de compétences, en « classe », un temps scolaire fixe et rythmé par la succession des matières, l’alternance de cours magistraux et d’exercices, l’étalonnage de la réussite par un système de notes (emprunté toutefois aux Chinois) » ? Quelles que soient les vertus de ce système, croyez-vous réellement qu’une organisation vieille de cinq siècles est à ce point géniale et universelle qu’elle puisse répondre aux défis du IIIe millénaire ? ».*
Pour écrire le scénario de L’école est à nous, en salle le 26 octobre, Alexandre Castagnetti et sa coscénariste Béatrice Fournera se sont nourris, entre autres, des écrits et conseils de François Taddei et ont imaginé un contexte favorable à un enseignement plus ingénieux, sensé, sensible et opérant que celui appliqué à l’heure actuelle. Soit un collège déserté à la faveur d’une grève des profs, dans lequel une enseignante non conformiste (la toujours formidable Sarah Succo) propose à quelques élèves de faire des expériences indexées sur l’entraide, la responsabilisation, et la quête du talent propre à chacun. En résultent des situations réjouissantes, qui, on l’espère, pourraient nourrir des réflexions sur la refonte de l’enseignement, comme la séquence où sont expliquées la théorie des jeux, l’importance toute relative de la notation, celle, fondamentale, de la confiance en soi ou la notion de flow favorable à l’apprentissage et au bien-être de chacun. Si le film souffre parfois d’un certain formatage dans son écriture (pourquoi cet antagonisme final aux accents artificiels, lors d’une traversée de passage clouté, qui semble répondre scolairement aux diktats des manuels d’écriture des Truby et McKee et à ceux des chaînes télévisées ?), il sait aussi insuffler de l’élan et engendrer un passionnant questionnement sur le renouveau possible des méthodes d’enseignement au collège. Il rend aussi hommage aux professeurs, tous très impliqués et pertinents dans ce film, qu’ils enseignent les mathématiques ou la technologie – ne serait-il pas urgent de travailler au décloisonnement entre les disciplines et favoriser un meilleur dialogue entre elles, interroge à bon escient cette comédie dramatique.
Eux aussi s’impliquent avec passion dans leur pratique au quotidien : dans La Générale, en salle le 23 novembre, l’actrice et documentariste Valentine Varela suit le quotidien d’enseignants et de leurs élèves dans le lycée Émile Dubois dans le 14e arrondissement de Paris, où sont souvent acceptés des jeunes refusés ailleurs. Tout l’enjeu de ce récit est de donner à voir le combat de ces profs pour aider leurs élèves à se dépasser et pouvoir poursuivre leurs études en filière générale quand tel est leur souhait. Vivant, drôle, émouvant, fluide, La Générale embarque par le charisme de ses personnages et la grâce de sa mise en scène. Nous y reviendrons plus amplement dans ces pages à sa sortie, le 23 novembre.
Tout aussi remarquables sont la patience et l’engagement à toute épreuve dont témoignent les enseignants et éducateurs du documentaire Un bon début d’Agnès et Xabi Molia, en salle depuis le 12 octobre et qui a reçu le prix documentaire de la critique au récent Festival de Cinéma de Valenciennes. On y suit leurs efforts constants pour aider des adolescents en rupture avec le système scolaire à réintégrer une formation grâce à la classe « Starter » créée à Grenoble. Des efforts à la mesure de ceux fournis par ces femmes courageuses qui enseignent à des enfants dans des conditions rocambolesques – un campement nomade enseveli sous les neiges de Sibérie, une classe de fortune au beau milieu de la brousse du Burkina ou des terres inondées du Bangladesh – et que donne à voir Être prof d’Émilie Thérond, en salle depuis le 5 octobre. À l’instar des personnages, réels ou fictifs, qui peuplent l’ensemble des films ici cités, ces femmes ont chevillée au corps cette conviction qu’un enfant éduqué peut changer le monde. Quel plus beau sujet ?
*Apprendre au XXIe siècle de François Taddei, Éditions Calmann-Lévy (2018) / Le Livre de Poche, pages 320-321.