Un jeune homme est désigné comme juré dans un procès criminel. À la suite d’un accident de circulation nocturne déconcertant, il se demande s’il n’est pas plus impliqué dans la mort de la victime que le suspect lui-même.
Autant Clint Eastwood nous avait éblouis avec son antépénultième film, La Mule (2018), autant il nous avait déçus, voire irrités, avec son avant-dernier, Cry Macho (2021). Avec son dernier opus, le cinéaste de 94 ans nous rassure : non seulement il n’a pas perdu la main comme réalisateur, mais il est parvenu à renouveler l’un des genres cinématographiques préférés des Américains, le film de prétoire. En effet, comme ses prestigieux confrères (Otto Preminger, Anatomie d’un meurtre, 1959 ; Alan J. Pakula, Présumé innocent, 1990…), il commence par informer très précisément ses spectateurs sur l’un des aspects fondamentaux du système judiciaire américain, la sélection très rigoureuse des douze membres d’un jury criminel, puis sur le fonctionnement au caractère très intime de celui-ci. Avec la même maestria que Sidney Lumet dans son célébrissime Douze Hommes en colère (1957), Eastwood scrute en profondeur les convictions, puis les doutes des jurés, confrontés, les uns après les autres, à des éléments troubles, soulevés par une analyse plus approfondie du déroulement des faits. Là où Eastwood nous surprend, c’est qu’il nous laisse entendre, dès le début du film, que le juré n° 2, est très certainement impliqué dans le meurtre supposé de la compagne de l’accusé, comme le prouve une série de courts flashbacks qui se veut très déroutante. Le spectateur est soudain privé de tout suspense à venir par ce procédé a priori rebattu. Mais la grande originalité du scénario de Jonathan Abrams consiste alors à développer une autre forme de suspense, celle-ci se focalisant sur les problèmes de conscience de plus en plus étouffants, que ne parvient pas à résoudre le protagoniste, un tout dernier flashback nous permettant de trancher à sa place. La réussite de ce procédé narratif, outre la grande qualité du découpage classique d’Eastwood, est due à l’excellence de l’acteur anglais Nicolas Hoult (Le Fauve des quatre X-Men ; Nux dans Mad Max : Fury Road, George Miller, 2015), au jeu facial en parfaite adéquation avec le déchirement intérieur éprouvé par le personnage, tiraillé entre son désir de ne faire du tort à personne, à son épouse sur le point d’accoucher, à l’accusé dont il sait l’innocence, tout en honorant la sacro-sainte foi américaine en la justice de son pays. Une nouvelle prouesse de l’ami Clint, à qui nous souhaitons de pouvoir nous en offrir encore d’autres.
Michel Cieutat