Renée Zellweger compose une Judy Garland au crépuscule de sa vie. Au dos du portrait au noir, salué de l’Oscar de la meilleure actrice, le trauma de l’enfant star abusée.
Le cinéma peut faire mourir l’enfance. Il a tué l’innocence de Judy Garland, née baby star, fille d’artistes de music-hall. Elle avait 2 ans à ses débuts précoces, elle avait 47 ans quand elle est morte trop tôt, d’une overdose de barbituriques.
Quand elle est entrée dans la légende du cinéma avec Le Magicien d’Oz de Victor Fleming (1939), dans le rôle de l’orpheline Dorothy, elle avait 17 ans. Quatre ans déjà qu’elle était sous contrat avec la MGM. Derrière le rideau de la féerie, l’enfer : une enfant mise au régime, shootée aux amphétamines et aux médicaments pour empêcher sa fatigue sur le plateau. Le studio a fabriqué, avec un cynisme criminel et une cruauté stupéfiante, un monstre : une femme toxicomane, qui ne remontera jamais des gouffres où elle avait été jetée.
Sur le tournage d’Oz, selon les confidences du défunt mari de l’actrice, Sid Luft, elle aurait même été agressée sexuellement par les acteurs nains qui jouaient les Munchkins. Judy elle-même parlait de « petits ivrognes ». Elle a joué dans plus de deux douzaines de films pour le studio.
À l’autre bout de l’arc-en-ciel des images d’Oz, un studio et un star-system ont broyé Judy Garland, icône tragique. Judy, sur un scénario de Tom Edge adapté de la pièce de théâtre End of the Rainbow de Peter Quilter, cadre la fin de la chanteuse éternelle de Over the Rainbow, le titre légendaire du Magicien d’Oz.
C’est l’hiver 1968 et il fait un froid glacial sur la vie dépressive de Judy Garland, alcoolique, anorexique et endettée. Sur la scène du Talk of the Town, à Londres, l’icône à bout de force, qui se fait malmener par le public.
Renée Zellweger ressemble aux images de l’époque, du show de Judy Garland. Une femme en habits de lumière entre en scène chancelante, fragile, incertaine, pâle comme la mort sous son maquillage, d’une insondable tristesse derrière sa joie fausse et ses sourires factices.
Renée Zellweger impressionne. Elle ne se contente pas de mimétisme de make-up et d’artifice postiche. Elle ne fait pas que copier une silhouette et une démarche. Elle pousse la performance dans le registre du double vocal. Elle chante certaines des chansons les plus populaires de Judy Garland, comme Get Happy ou For Once in My Life. Renée Zellweger avait remporté un Golden Globe avec la comédie musicale Chicago (2002) de Rob Marshall ; Judy lui a valu l’Oscar de la meilleure actrice, juste salut à son talent dramatique complet. Les biopics sont décidément des films à statuettes.
Renée Zellweger est filmée comme une comédienne de théâtre par un metteur en scène venu du théâtre. Rupert Goold signe avec Judy son deuxième long-métrage de cinéma après True Story. Le langage du corps est important. Malgré la caméra, si proche, le réalisateur dirige son actrice vers un jeu expressif. Renée Zellweger paraît parfois surjouer, maquillant sous les effets les émotions. À l’arrière-plan, les autres rôles sont très secondaires : le chant du cygne de Judy Garland sature l’écran.
Rupert Goold n’oublie pas totalement le langage du cinéma et sa narration en flash-back met le doigt sur l’enfance désenchantée de Judy Garland, et comment le cinéma a tué son innocence. Ce retour au passé est un récit édifiant, qui fait froid dans le dos. Les moments sur l’enfance brisée de Judy Garland, par une industrie qui la broie et finira par l’abandonner comme un jouet cassé, donnent à Judy un air de conte effrayant. Il est la partie la plus intéressante et cinématographique d’un biopic qui se distingue ainsi d’autres du même genre, consacrés à des stars marquées par les traumas et les addictions (Édith Piaf, Elton John, Brian Wilson).
Le rideau tombe sur la vie de Judy Garland. Renée Zellweger chante Over The Rainbow. Jamais plus on ne regardera Le Magicien d’Oz avec des yeux d’enfant. L’innocence se perd toujours.