L’un des plus beaux films présentés à Cannes cette année, Joyland du jeune réalisateur pakistanais Saim Sadiq, a obtenu le Prix du jury de la section Un Certain Regard et la Queer Palm. Son histoire d’amour entre un bon fils de famille et une danseuse transsexuelle au tempérament de feu nous hante encore.
D’emblée, ce film nous embarque. Par la texture même de son image qui accroche l’œil, son sens du cadre précis, la fluidité de son montage, sa photographie, dont les couleurs et contrastes dessinent, sous leur caractère joyeux, une profondeur mélancolique abyssale. Joyland nous plonge dans le quotidien d’une famille pakistanaise. Sous le même toit, à Lahore, deuxième plus grande ville du Pakistan après Karachi, vivent un patriarche mal en point, ses deux fils, Haider (Ali Junejo) et Saleem (Sohail Sameer), ainsi que leurs épouses respectives Mumtaz (Rasti Farooq) et Nucci (Sarwat Gilani). Lorsque Haider propose à sa femme de quitter son emploi pour qu’il puisse à son tour travailler et répondre aux attentes de son père, ce fils de famille, à la personnalité douce et effacée, fait se fissurer les hauts murs de son foyer. Car c’est dans un cabaret, que dirige Biba (Alina Khan), une artiste transsexuelle au caractère trempé, qu’Haider se fait embaucher comme danseur et se fait passer pour gérant aux yeux des siens. Sans grand talent pour la scène, il s’acharne, aidé par Biba, dont il se rapproche progressivement. Entre Haider et elle, un lien se tisse, une histoire d’amour s’installe dans l’ombre des nuits, en dépit des tabous et interdits.
Saim Sadiq, dont c’est ici le premier long-métrage, filme ses acteurs, tous remarquables, avec une grâce infinie, et mêle l’humour au drame avec élégance (la séquence où Haider promène en scooter la silhouette géante de Biba imprimée sur carton est un modèle de burlesque sentimental – lointainement inspiré d’un plan de Coup de foudre à Notting Hill !). On ne dira rien du sombre dénouement de cette histoire, si ce n’est qu’on ne le voit pas arriver. Dans cette société patriarcale, vivre selon son désir profond n’est pas exempt de conséquences. La force de Saim Sadiq est de parvenir à sonder les zones frontières, entre le féminin et le masculin, le jour et la nuit, la liberté et la contrainte, le dit et le tu, avec nuance et délicatesse. Le suivre est une expérience troublante et hypnotisante. Une expérience de pur cinéma.