Après l’onirisme de L’Odyssée de Pi en 2012, le réalisateur taïwanais Ang Lee s’attaque à un autre genre spectaculaire : le film de guerre. Mais, loin des champs de bataille, Un jour dans la vie de Billy Lynn suit le périple d’une escouade de soldats américains accueillis en héros le temps d’un bref retour au pays.
Sorti en 2005, le documentaire Why We Fight, réalisé par Eugene Jarecki, faisait le bilan critique de plus d’un demi-siècle d’engagements militaires des États-Unis. Comme l’a fait Jarecki, on pourrait appliquer au dernier film d’Ang Lee cette expression, qui renvoie directement aux films de propagande américains des années 1940. Sauf que, plutôt que de s’intéresser à la rhétorique politique et « propagandaire » des États-Unis, « police du monde », Un jour dans la vie de Billy Lynn semble se poser la question de l’engagement d’un point de vue plus intime, personnel. Pourquoi des individus décident-il d’aller risquer leur vie loin de chez eux, sans aucune nécessité concrète, et pour des causes discutables et éloignées de leurs préoccupations quotidiennes ?
Il y en a eu des films sur la guerre, des brûlots antimilitaristes. Tellement, que lorsque est arrivée la guerre en Irak, il n’était pas rare d’entendre ironiser sur l’intérêt démocratique de cette guerre, qui cachait avant tout des intérêts économiques. Pourtant, même au sein de foyers où l’opinion d’une guerre pour le pétrole était communément admise, on a vu de nombreux jeunes gens s’engager. Que cherchaient-ils ? Et qu’ont-ils trouvé ? Presque révolutionnaire dans sa non-rébellion, le film d’Ang Lee essaie de comprendre, sans donner de véritables solutions. La religion, les rapports familiaux un peu torturés, l’envie d’un idéal, le besoin de reconnaissance, le rapport au groupe. Pourtant, aucune de ces pistes explorées ne semble pleinement satisfaisante. Si ces raisons sont certainement les motivations extérieures du personnage principal, Billy Lynn, son envie de partir et de repartir en guerre semble être, presque inconsciemment, une manière pour lui de fuir le spectacle.
Mis en scène de façon moderne et virtuose, initialement destiné à être diffusé en 3D et à 120 images par seconde, le film d’Ang Lee se veut spectaculaire d’hyperréalisme. Et pourtant, ce n’est pas pour filmer la guerre que le réalisateur taïwanais déploie les mêmes moyens que ceux utilisés par Peter Jackson sur Le Hobbit. En Irak, avec son régiment d’infanterie, le jeune soldat Billy Lynn a été pris dans une violente échauffourée avec l’ennemi, qui s’est finie au corps-à-corps. Soucieuse de créer des héros comme on crée des stars à Hollywood, l’administration Bush rapatrie ce Texan, tueur de « terroristes » à mains nues, le temps d’une semaine de fêtes et de parades. Conférences de presse, storytelling au poil, grand match de base-ball et même apparition sur scène au côté de Beyoncé. Une journée dans la grandeur de l’Amérique des années 2000, voilà ce que nous propose Ang Lee. Près de deux heures d’un exposé brut sur la fabrique du héros à une époque de patriotisme en berne, de désolidarisation presque générale des intérêts militaires nationaux. En n’étant jamais dogmatique, et en ne jugeant pas les contradictions de son personnage principal, Un jour dans la Vie de Billy Lynn est l’anti-Mémoires de nos pères. Là où, sur le même thème, le film de Clint Eastwood et sa morale pesante semblait penser à notre place, celui d’Ang Lee nous fait réfléchir. C’est une satire déguisée en film de propagande, avec l’intelligence de poser de bonnes questions, et de laisser au spectateur le goût d’y répondre. Elle est vaine, cette guerre, et les sergents qui répètent comme une vieille devise dont le sens s’est perdu : « Let’s spread democracy around the world ! », le font presque avec ironie. Et pourtant, ils s’engagent.