Il y a un an sortait, Plus jamais seul, premier film d’Alex Anwandter relatant un meurtre homophobe si traumatisant au Chili qu’une loi portant le nom de sa victime, la loi Zamudio, fut promulgée. Jesús, petit criminel de Fernando Guzzoni reprend ce même fait divers renforcé d’une vision clinique sur le gouffre qui s’élargit entre les jeunes et leurs ainés.
Santiago du Chili, 2012. Jesús (Nicolas Duran), 18 ans, possède une candeur et une beauté caractéristique de sa jeunesse. Avec sa coupe au bol et son corps filiforme de danseur, il ne ressemble pas vraiment à un chilien mais davantage à une star de K-pop coréenne, androgyne, moderne et hyper-connectée. Il pourrait être la copie de l’un de ces garçons du globe à l’apparence sexualisée, qui vouent une passion prédominante à l’artifice. Jesús n’a pas de discours sur le sujet, ni revendication particulière : tapotant son doudou-smartphone, il est comme il est, qu’on l’aime ou pas, avec sa moue désabusée de top model sur un podium. C’est uniquement en se défonçant d’ennui dans l’herbe du parc voisin avec ses congénères agglutinés, ou aux lueurs d’un concert de sosies de lui-même, qu’il sourit un peu… Et puis, il baise. Fille ou garçon, qu’importe, pourvu qu’il ait l’ivresse du plaisir et le sentiment d’aimer.
Via la posture archétypale du héros dans son film venant du bout monde, Fernando Guzzoni témoigne de l’accélération de la mondialisation des profils, des goûts et des humeurs de la jeunesse. Tribu naïve, livrée à elle-même, elle est faussement « libérée », sans gêne et sans tabous, car elle n’a que faire des autres. Le contraste entre Jesús et son père est, à ce titre, saisissant : Héctor (Alejandro Goïc) est un ainé d’un autre temps, il a connu la violence de la dictature au Chili, pour lui l’effort et le travail sont l’enjeu d’une morale indiscutable. Il est ainsi désarçonné au quotidien par son fiston, cet échalas avachi dans son salon qu’il ne comprend pas et dont il se désintéresse…
La relation père-fils s’exacerbe au détour d’un imprévu, l’assassinat de Zamudio (auquel Jesùs participe), que le réalisateur classe au rang d’une bévue presque ordinaire. Ce parti pris sans concession met en exergue combien Fabrice Guzzoni souhaite remettre les pendules à l’heure : selon lui, la thèse d’un meurtre homophobe se désagrège au profit d’un fratricide, car les assaillants sont compagnons d’ambiguïté sexuelle, issus de familles morcelées du même milieu social et tous victimes de l’isolement.
Cette analyse qui fait froid dans le dos atteint dès lors son paroxysme dans la fin du film, où il n’est plus question de tergiversations éthiques, mais de souligner que le monde poursuit sa route avec un ver, bien installé dans le fruit.