Jeanne
Le grand Bruno Dumont adapte de nouveau les textes de Charles Péguy consacrés au personnage historique de Jeanne D’Arc. On est en 1429, Jeanne est emprisonnée et jugée. Après une Jeannette dansante et insouciante, ce second volet paraît plus austère et plus théâtral, mais il s’avère plus sensible et majestueux. L’expression du corps laisse la place à l’expression du verbe. Ce film n’est plus franchement une comédie, ce qu’étaient ses opus depuis la série Le P’tit Quinquin. Le cinéaste semble renouer avec la sobriété d’antan, et choisit de rendre compte des événements (une guerre, un procès, une église) uniquement par les voix, qu’elles soient un commentaire (des personnages sont comme les animateurs radiophoniques de l’action), un interrogatoire, ou un chant.
Ces joutes oratoires deviennent fascinantes et parviennent par la force de l’évocation à se substituer à l’action. Chaque parole, interprétée avec fragilité par des acteurs non professionnels, a son timbre et son phrasé singuliers. Amenant une distanciation toute brechtiennne, ce jeu vocal n’en préserve pas moins le mystère de Jeanne et notre fascination. Le pouvoir des mots se confronte à la ténacité de l’accusée qui persiste. Au sein d’un décor immense (église vertigineuse) dans lequel les individus paraissent petits, sentiment augmenté par la bonne idée de retrouver la fragile Lise Leplat Prudhomme (dont il faut saluer la performance), plus jeune que le personnage réel.
Le cinéaste questionne alors notre rapport à la spiritualité. Se mêlent le profane et le sacré, à l’image du chanteur Christophe, invité improbable du cinéma de Dumont, qui est d’abord une voix (parlée et chantée), avant d’être un visage. Son chant élégiaque incarne l’alliance du trivial et du lyrique. A nous spectateurs de nous laisser embarquer dans ce récit choral qui peut confiner au grotesque si nous refusons d’y croire.