Je le jure de Samuel Theis

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Troisième long-métrage de Samuel Theis, Je le jure continue de creuser le sillon d’un cinéma proche des femmes et des hommes de Lorraine et révèle deux « non-acteurs » époustouflants.

Une partie de chasse. Fabio, la quarantaine, veste fluo orange et regard bleu acier, pointe son fusil sur un sanglier, hésite à tirer et … le coup fuse d’autre part. La mort de l’animal, un autre que lui en portera le crédit. C’est l’histoire d’un homme qui ne décide pas. Qui il est, qui il aime, ce qu’il veut. Il travaille dans une déchèterie, a des collègues qu’il apprécie ; il a un frère, une belle-sœur, une mère ; il vit à Forbach avec Marie, de vingt ans son aînée, une amie de la famille présente à toutes les fêtes, mais qu’il ne regarde pas, pour que personne ne soit au courant de leur histoire. Officiellement, il vit « chez un pote »… Appelé à être juré dans un procès d’assises à Metz, Fabio va se mesurer à un autre monde, où il faut écouter, observer — ce qui lui convient plutôt bien —, mais aussi décider ce qu’on pense et, surtout, l’exprimer.

Si tout est un peu donné dans le scénario dès les prémices, le troisième long-métrage de Samuel Theis (Party Girl, Petite Nature) parvient à déjouer les choix trop évidents et offrir un parcours tout en nuances, en non-dits. Je le jure vaut par son regard. Sur les êtres et les choses, sur la difficulté qu’il y a pour certains à être au monde et y trouver leur place.

Comme dans son premier film, cosigné avec Marie Amachoukeli et Claire Burger (Caméra d’or au Festival de Cannes 2014), Samuel Theis filme sa Moselle natale, les gens qu’il connaît, rend visibles et palpables cet univers et ces femmes et ces hommes que le cinéma français n’invite pas si souvent. Et surtout, il mélange les « non-comédiens » avec des acteurs chevronnés : Marina Foïs en présidente de cour d’assises, Louise Bourgoin, Micha Lescot, Saadia Bentaïeb en cojurés de Fabio. Ainsi ce dernier est-il interprété par Julien Ernwein, maçon de son métier, et Marie par Marie Masala. Et la justesse de ces deux-là, leur authenticité, est ce qu’il y a de plus beau dans le film. Pourtant, ils jouent. Ô combien. Notamment des scènes d’amour, d’autant plus difficiles qu’ils sont débutants. Mais elles sont mises en scène tout en délicatesse, et la poésie et la pureté qui s’en dégagent sont douces à nos yeux.

Dans le parcours de Fabio, dans la confrontation de visages célèbres et de parfaits inconnus, dans la parole profuse et articulée des gens qui savent contre celle plus hésitante des gens qui doutent, une vérité affleure, tissée de plusieurs vérités.

Il est nécessaire de rappeler ici que le réalisateur Samuel Theis, pendant le tournage, a été accusé de viol par un machiniste. La production a immédiatement mis en place un protocole afin que chacun, victime présumée et coupable présumé, soit entendu. Et que l’ensemble de l’équipe, acteurs et techniciens, puisse choisir de quitter le plateau ou continuer de travailler, le réalisateur étant confiné dans une pièce sans interactions directes avec ceux qui ne le souhaitaient pas. Cette gestion qui prend en compte l’humain, la parole entendue et la présomption d’innocence, le travail de toute une équipe (avant, pendant, et après le tournage) est une première. Malgré tout, le film sort sans la couverture médiatique « normale », le réalisateur restant en retrait et n’accompagnant pas son film dans les avant-premières, et Je le jure est accompagné d’une aura négative qui, sans doute, empêchera qu’il soit regardé pour ce qu’il est. L’enquête se poursuit et le jugement n’a pas été rendu. Par ailleurs, Serge Bozon, contre lequel plusieurs plaintes pour agression sexuelle ont été déposées et qui est, lui aussi, présumé innocent, incarne un expert lors d’une scène en visioconférence. Ces paramètres complexifient le rapport à l’œuvre.