Le compositeur Carlos d’Alessio (1935-1992) retrouve une deuxième fois Marguerite Duras. Ils travailleront sept fois ensemble, de La Femme du Gange (1974) à Les Enfants (dernière réalisation de l’écrivaine en 1985). Ce mélodiste français d’origine argentine s’est surtout fait connaître avec Delicatessen (de Jean-Pierre Jeunet et Marc Caro, 1991), sa dernière œuvre avant de mourir du sida l’année suivante.
India Song, nommé trois fois aux César en 1976 (meilleure actrice pour Delphine Seyrig, meilleur son pour Michel Vionnet, et meilleure musique pour Carlos d’Alessio) situe son récit à Calcutta en 1937. Pourtant, bien que l’intrigue se déroule en Inde, tous les lieux de tournage se trouvent en Île-de-France (Versailles, Bois de Boulogne…). Et pour la musique, bien que le compositeur soit un habitué des créations s’inspirant d’airs folkloriques, il n’était pas question de convoquer la géographie du film. Ainsi, plutôt que d’employer des instruments orientaux, le compositeur a illustré cette romance à travers un piano épuré et intemporel.
À l’image du huis clos réduisant au maximum les contours de l’action (un soir, une réception donnée à l’ambassade), les images de Duras demeurent figées. Et pour transcender ces plans-séquences, les sons voyagent. Le film est alors rythmé par les voix off et les morceaux musicaux, qui dessinent un hors-champ mystérieux. Comme Jean-Luc Godard une décennie plus tôt, Duras attribue au son une relative autonomie, en le dissociant de l’image (les voix se font entendre, mais les bouches restent closes) ; cela s’applique également à la musique. Nous voyons pourtant un piano, mais il semble jouer une autre partition que celle que nous entendons. La bande-son de ce film pourrait se suffire à elle même. D’ailleurs, une pièce radiophonique a été conçue par Duras à partir de ce matériau.
Ainsi, lorsque les personnages se rapprochent pour une magnifique scène de danse, ils paraissent à la fois ensemble dans l’immédiat présent, et ailleurs dans un autre espace-temps. Delphine Seyrig, dans une robe pourpre scintillante, entreprend une valse languissante avec Claude Mann, sur la ritournelle mélancolique de Carlos d’Alessio. “J’écoute India Song … cet air me donne envie d’aimer”, dit le personnage. Cette déclaration est comme un hommage au pouvoir émotionnel de la musique. Face à l’extrême isolement des êtres, les notes de piano semblent être un élixir magique pour une réunification des âmes. La musique incarne l’amour, avec une belle sensualité.