Il y a des séquences touchées par la grâce qui émergent d’un film et restent, tenaces, en mémoire. Retour sur celle qui nous a impressionnés dans le pourtant chaotique In the Fade de Fatih Akin.
C’est une séquence dialoguée, un simple échange entre deux personnages. Au cœur du procès qui oppose Katja (Diane Kruger) et un couple de jeunes néo-nazis, auteurs supposés de l’attentat qui a coûté la vie à son mari et son fils, c’est un instant en suspens. Alors qu’elle vit l’innommable et que l’intensité de sa douleur est à son comble, ce personnage de mère meurtrie se retrouve face à un homme sorti prendre l’air comme elle. Il est le père de l’accusé. Il a témoigné à la barre et pense son fils coupable. Sous la lumière froide du ciel chargé de Hambourg, Fatih Akin trouve la distance exacte pour filmer cet homme et cette femme, leur dialogue courtois, l’invitation incongrue à venir partager un jour un gâteau chez lui (cette séquence sera tournée, mais coupée au montage), leur regard ouvert et accueillant à l’un et à l’autre. L’homme est joué par Ulrich Tukur, grand acteur allemand connu du public français grâce à ses rôles dans Amen de Costa-Gavras, La Vie des autres de Florian Henckel von Donnersmarck et Le Ruban blanc de Michael Haneke. Sa voix, son visage, sa silhouette expriment une humanité bouleversante dans cette séquence : ce personnage prend de la hauteur, épouse une forme de transcendance. Il est un héros passager.
Face à lui, Diane Kruger trouve dans ce film, qui lui valut le prix d’interprétation féminine à Cannes, son rôle le plus fort à ce jour. Elle y est juste et rigoureuse. Son visage lumineux est un écran où se lit une vaste palette d’émotions contraires et très maîtrisées. Elle porte sur ses épaules cette histoire, qui aurait gagné à étoffer sa dimension politique, et dont la résolution est moralement inacceptable. Mais il y a cette séquence superbe, qui doit son élégance et sa noblesse à sa sobriété. Dans cet ensemble sombre et enragé, elle offre une respiration bienvenue, un relief mémorable.