Adaptant Honoré de Balzac, Xavier Giannoli livre un film virevoltant, avant tout et résolument moderne. Avec l’un des acteurs les plus doués de la nouvelle génération : Benjamin Voisin.
De son imprimerie pépère d’Angoulême à la rédaction vibrionnante d’un journal parisien, le jeune poète Lucien de Rubempré découvre la folie, la violence, le mouvement perpétuel. Pour le naïf provincial, ce monde urbain du XIXe siècle où il a l’ambition de trouver sa place est une terre inconnue peuplée d’êtres fascinants : lettrés, dandys, éditeurs, romanciers, journalistes et rédacteurs en chef exerçant le pouvoir du haut de leur superbe et de la pointe de leur plume acérée. Se pliant à « la mauvaise foi, la fausse rumeur et l’annonce publicitaire », Lucien manque de perdre son âme.
Du foisonnant roman de Balzac, Xavier Giannoli et son coscénariste Jacques Fieschi gardent l’essence précieuse, supprimant un personnage là, une scène ici, mais maintenant l’impressionnant vertige accompagnant cette plongée dans un univers marchand où tout s’achète et tout se vend, au détriment de l’humanité, du talent, des sentiments. Illusions perdues, le film, est constamment virevoltant, comme si rien, jamais ne pouvait s’arrêter, de la rue où passants, chevaux et calèches foncent dans le tas jusqu’aux rédactions où font irruption de toutes parts les journalistes brandissant des textes à mettre en page sur le champ.
Giannoli filme l’époque, ses brocards, tentures et dorures, mais aussi le papier, les plombs d’imprimerie, les cuirs de reliure, dans un tourbillon permanent de fastes et de frasques, de mots et de maux. C’est brillant, passionnant, jamais pesant. Et surtout sans faire le malin avec des anachronismes, en respectant la lettre, mais la réinventant aussi, résolument moderne. Car notre siècle, tout de dématérialisation et de numérique, est issu en droite ligne de cette ère industrielle qui inventa la vitesse, l’effervescence et le profit à grande échelle. De tous les plans, Benjamin Voisin (La Vraie Vie de Simon, Été 85) est époustouflant, et autour de lui, Vincent Lacoste, Xavier Dolan, Gérard Depardieu et le regretté Jean-François Stévenin, mais aussi Cécile de France, Jeanne Balibar et la révélation qu’est Salomé Dewaels sont tout aussi remarquables.
Dans la plupart de ses films, de son court-métrage J’aime beaucoup ce que vous faites (1995) à L’Apparition (2017) en passant par À l’origine (2008) ou Marguerite (2015), Xavier Giannoli interroge le vrai et le faux, le mensonge et la croyance, l’imposture et la posture. Avec Les Illusions perdues et son héros s’arrogeant une particule à laquelle il n’a pas droit et une position pour laquelle il n’a pas l’étoffe ni les codes, il réussit le portrait craché d’un jeune ambitieux entre son ascension et sa chute et touche à l’universel.
Isabelle Danel