Une prouesse cinématographique inattendue, cruelle, drôle, sans concession, et incontournable pour plus d’une raison.
Parler du présent au passé, filmer le passé au présent, parvenir à nous faire rire et signer un grand, très grand film de cinéma, impeccable à tous points de vue, qui éclaire l’absurdité d’une société érigée sur l’autel de l’esclavage domestique et des violences masculines. À l’égard des femmes et des enfants, d’abord, mais d’eux-mêmes aussi. Pour son premier long-métrage en tant que réalisatrice, la comédienne et scénariste Paola Cortellesi n’y va pas de main morte.
Livré dans un noir et blanc digne des plus belles heures du cinéma néoréaliste italien, Il reste encore demain est une comédie dramatique à l’humour glaçant et jubilatoire. Nous sommes en 1946, à la sortie de la guerre et à la veille de l’accès au droit de vote des Italiennes. Dans un petit village où tout se sait et rien ne se tait, Delia (interprétée par la réalisatrice) manœuvre tant bien que mal entre un mari violent, des enfants méprisants, et le poids des traditions. En deux heures, qui pourraient sembler une éternité, mais sidèrent autant qu’une gifle monumentale balancée chaque matin au réveil, Il reste encore demain décortique les mille et une violences de tout un système sociétal, avec autant de délicatesse que d’intelligence, et sans jamais glisser dans le pathos. Pour dérouler son récit, coécrit avec Furio Andreotti et Giulia Calenda, Paola Cortellesi s’appuie sur une mise en scène aussi dissonante que sensible, et déploie une surprise après l’autre, sans la moindre fausse note.
S’il semble, de prime abord, situé aux antipodes de Barbie de Greta Gerwig, Il reste encore demain en est pourtant le pendant absolu. Véritable phénomène social en Italie, avec cinq millions d’entrées, proposant d’aborder un sujet critique dans un contexte décalé, il a agité les consciences et provoqué une petite révolution. Faire rire de ce qui est grave, plonger au cœur d’un mécanisme bien huilé, recréer un microcosme aux enjeux universels : dès son générique, au fil d’un plan-séquence époustouflant sur fond de Jon Spencer Blues explosion, la réalisatrice pose un regard unique et tendu par un sous-texte permanent d’une immense richesse.
Il y aurait des kilomètres d’analyse à dérouler pour faire le tour du tour de force que représente ce film, tant sur la forme (la photographie signée Davide Leone est sublime) que sur le fond. À mesure que l’étau se resserre autour de Delia, des séquences quasi surréalistes mettent en exergue l’absurdité romanesque qui nourrit l’inconscient collectif, les illusions et les mensonges qui nous font tenir debout, et l’archaïsme du sexisme qui traverse des classes sociales et les générations, écrasant tout sur son passage. Il reste encore demain fait entrer la lumière et éclaire l’espace public et privé, dominé par les hommes en toute impunité, la folie, l’inconscience, la peur, la contrainte du quotidien, et l’espoir d’un lendemain qui chante.