Dans un petit village d’une Afrique archaïque, une petite fille est condamnée pour sorcellerie. De camps de travaux forcés en manoirs de riches politiciens, I Am Not a Witch dresse un portrait acerbe, drôle, violent, mais surtout inhabituel d’une certaine Afrique contemporaine.
Dans le village, Shula – comme on l’appelle – n’a pas de parents, ne parle presque pas. Il paraîtrait qu’elle serait à l’origine de phénomènes surnaturels – c’est donc certainement une sorcière. Sur ces fondements, Shula est condamnée à vivre avec ses semblables – d’autres prisonnières résignées – trimballées le long des routes pour travailler dans des champs, comme des esclaves noirs de l’Amérique sudiste. C’est ça, ou elle se transformera en chèvre. Après quelques semaines dans le camp, M. Banda, un homme politique, la prend sous son aile. Elle aura d’abord pour mission de choisir les innocents et les mécréants lors de procès sauvages, avant de devenir la sorcière personnelle de Banda, l’accompagnant dans tous ses déplacements.
I Am Not a Witch, oscille toujours entre drame social et comédie loufoque, et prend à revers toutes les représentations habituelles des traditions et rites de l’Afrique subsaharienne. Le folklore, souvent étrange et parfois grotesque, ne fascine pas du tout Rungano Nyoni. Mettant en avant la stupidité et la dangerosité de ces traditions, la réalisatrice signe un portrait inhabituel, peut-être jamais vu, d’une Afrique qui fait face à la modernité, mais reste empêtrée dans ses traditions. Car le monde dans lequel s’insère ce folklore – qui dépasse l’anecdotique, ou même le fait religieux, mais va jusqu’à motiver chacune des actions des personnages – est paradoxalement très moderne, ou en tout cas proche d’un fonctionnement à l’occidentale. Et c’est peut-être ce qui rend ces condamnations traditionnelles encore plus surprenantes et dérangeantes. Au commissariat, face à une policière pas tout à fait convaincue, une assemblée populaire condamne une petite fille apeurée pour sorcellerie. Tous les matins, un vieil homme qui écoute Charlie Feathers ou un autre tube de rock américain au casque, remonte la corde à laquelle chacune des « sorcières » du camp est attachée, pour les réveiller afin qu’elles se mettent au travail. Sur le parking d’un centre commercial identique à ceux qu’on trouve partout en banlieue des villes américaines, une femme, sortant de son SUV, est lapidée et insultée par d’autres clients, des inconnus, qui l’accusent d’être une sorcière. En ville, dans le bureau d’un homme blanc inquiet de la sécheresse pour l’avenir de l’agriculture, on fait une danse de la pluie.
I Am Not a Witch est ainsi un film à scènes, dont chacune ou presque présente, dans un contexte réaliste, une situation ubuesque – tantôt risible, tantôt violente, et souvent les deux. Rungano Nyoni reprend dans son film deux figures symboliques de l’Afrique subsaharienne : le prêtre et le politicien – qui finissent par être très semblables. En le tournant en ridicule, la réalisatrice met le doigt sur une violence souvent oubliée au nom de l’identité africaine postcoloniale. Avec sa mise en scène très travaillée, sa superbe photographie signée de David Gallego (le chef-opérateur de L’Étreinte du serpent), la finesse de ses décors et costumes, ses couleurs, chaudes et saturées, I Am Not a Witch s’inscrit en faux contre une tradition d’un certain cinéma africain naturaliste, héritier du documentaire ethnologique. Enfin, fait rare dans le cinéma africain à vocation internationale, dans cette tragédie surréaliste brillent aussi des moments très drôles, soulignés par les prestations de Henry BJ Phiri, homme politique aussi crédible que caricatural, et surtout de la touchante Maggie Mulubwa, la petite Shula, sûre d’elle et culottée, mais brinqueballée dans un monde incompréhensible et injuste.