Le deuxième film de Ridley Scott à sortir cette année après Le Dernier Duel (Covid oblige), et sans doute le plus attendu, fait plouf. Lady Gaga surnage, mais on s’ennuie ferme. Opéra bouffe ou Shakespeare vs Atrides ?
À grand renfort de superlatifs sur ce célébrissime « fait divers » chez les riches, la bande-annonce de House of Gucci déroule sa farandole d’acteurs – Adam Driver, Lady Gaga, Al Pacino, Jeremy Irons -, tous frappés du sceau des Oscars, qu’ils soient simples nommés ou récipiendaires de la statuette (pour des films antérieurs, s’entend !). Autant stabiloter « les gars, c’est du lourd ! » et on n’en parle plus. C’est du lourd, en effet. Le film lui-même s’étend avec une certaine élégance (Ridley Scott sait faire) au fil de ses cent cinquante-sept (très) longues minutes sur cette histoire de famille italienne, non mafieuse, certes, mais qui s’étripe comme les Atrides, se venge comme chez Shakespeare et laisse un goût amer de gâchis humain et, au final, cinématographique.
Commençant par le meurtre à Milan en octobre 1995 de Maurizio Gucci, le récit repart en flash-back sur sa rencontre dans les années 1970, alors qu’il est un jeune et timide aspirant avocat issu d’une dynastie célèbre de la mode italienne, avec une pimpante demoiselle, Patrizia Reggiani, simple secrétaire de son propre père ayant fait fortune dans le transport routier. La séduisante personne mène son bonhomme au mariage et fait son chemin dans les arcanes de l’empire Gucci, façonnant Maurizio pour en faire un monstre éliminant sur son passage son oncle et son cousin, jusqu’à ce que la créature se retourne contre sa créatrice. Et l’abandonne pour une autre. La vengeance de la femme bafouée sera terrible.
C’est une histoire, certes. Mais que raconte-t-elle ? Que les riches se bouffent entre eux et que la petite prolétaire qui s’y est frottée en est pour ses frais ? Que le capitalisme, l’entre- soi et le luxe ne sont bons pour personne ? Bon sang, mais c’est bien sûr ! Euh ? Et après ? Le film s’engage mal dès le départ, ne serait-ce que parce que tous les acteurs, britanniques ou américains, parlent un anglais mâtiné d’un accent italien qui souvent verse dans la caricature. Et puis, il y a le ton. Si sérieux. Ça aurait pu être une farce, un opéra bouffe (pas une minute de silence, la bande-son étant encombrée d’extraits d’opéras italiens appuyant avec emphase le caractère implacable du destin qui se joue sous nos yeux), mais jamais cette piste n’est explorée, même si on se demande parfois si le duo père et fils Al Pacino/Jared Leto (qui en font des caisses, mais avec talent) n’est pas un duo comique. Le pseudo suspense qui laisse Maurizio (Adam Driver, charismatique, mais peu incarné) sur le carreau dès les premières scènes ne tient pas la route d’un scénario programmatique de tragédie, plein de trous béants de surcroît. Particulièrement, la transformation du gentil mari à l’égard de son épouse - juste parce qu’il s’est enfui en Suisse après l’arrivée des contrôleurs fiscaux en sa maison et a, lors d’une descente de ski très bizarrement filmée, retrouvé un ancien flirt (Camille Cottin) – semble bien mécanique et totalement incompréhensible. Quant à la mode, à part lors de l’arrivée finale de Tom Ford et son défilé salvateur, ce motif-là n’a pas non plus retenu l’attention des scénaristes.
Reste que l’image signée Dariusz Wolski, collaborateur régulier de Ridley Scott, est superbe. Il y règne une beauté clinquante, une ombre persistante de noirceur, de soufre et de sang. Et il faut bien dire que Lady Gaga confère à son personnage un mélange de candeur et d’arrivisme, de sexe et de naïveté, qui fait de sa Patrizia, au moins dans la première partie, un personnage complexe qu’on a plaisir à voir évoluer.
Au début du film, Al Pacino, alias Aldo Gucci, susurre, l’œil pétillant, lorsqu’il invite son neveu et sa nouvelle femme à l’anniversaire de ses 70 ans, histoire de rabibocher la famille : « Je vais sortir d’un gâteau ». C’est une des nombreuses promesses non tenues de ce film boursouflé et très vide, hélas.