Dans une région reculée d’Iran, un homme tente de résister à la corruption généralisée, jusqu’au moment où il doit choisir son camp : opprimé ou oppresseur. Implacable, glaçant et magnifique.
Une nuée d’oiseaux voraces. Un lac constellé de poissons rouges le ventre en l’air. Un essaim de motards casqués. Une maison en flammes… Ce sont quelques-unes des images à la fois sublime et terrifiantes qui émaillent Un homme intègre de Mohammad Rasoulof. L’histoire d’un homme, Reza, qui vit avec sa femme Hadis, directrice d’école, et leur petit garçon, dans une ferme reculée d’Iran où il élève des poissons rouges. Après avoir refusé de donner un pot de vin à un banquier, il n’échappe pas à l’énorme majoration pour retard de paiement. Et c’est le début d’une série de catastrophes dont certaines rappellent les plaies d’Egypte. Le réalisateur iranien de La Vie sur l’eau (2005) et (2011) est assigné à résidence dans son pays depuis octobre 2017et s’est vu confisquer son passeport après avoir présenté son dernier film dans de nombreux festivals dont Cannes en mai dernier, où il a reçu le Prix Un Certain Regard. Son sixième long-métrage de fiction est un implacable constat de la terreur sourde que fait peser l’état iranien à tous les échelons de la hiérarchie (ici « la compagnie », dont on ne saura jamais exactement ce qu’elle recouvre). La mise en scène, précise, délicate, ménage des moments de chaleur d’une belle simplicité, entre les parents et leur fils, et aussi dans le couple où l’amour circule et où l’acte sexuel est partagé joyeusement. Elle fait exister une multitude de personnages secondaires, parmi lesquels une famille chrétienne dont on apprend qu’ils ne peuvent ni scolariser leurs enfants, ni même obtenir une sépulture à leur mort. Certains viennent encore nous informer sur le passé de Reza et Hadis, autrefois installés à Téhéran. L’enchaînement des désastres ponctue chaque renoncement, celui de Hadis d’abord qui tente d’agir de son côté, puis celui de Reza, qui décide d’agir… Beau et terrible, le film ne cesse de sombrer avec ses personnages dans un abîme de plus en plus profond…
Au début du film, Reza injecte à la seringue de l’alcool dans des pastèques qu’il entrepose à l’abri des regards. Du pourrissement du fruit et de la macération, il obtient une boisson (interdite) dont il s’enivre seul à l’abri d’une grotte. C’est la seule incartade de cet « homme intègre » avant qu’il cède aux pressions ; mais il suffit d’une seule concession pour tout gangréner. Il y a quelque chose de pourri, que ce soit au Royaume du Danemark ou dans cette République…