Cette deuxième saison d’Hippocrate tombe à pic alors que la pandémie mondiale suit son cours et que toute la France est (re-re)confinée. On y plonge, à la suite de personnages devenus familiers et toujours furieusement humains, au cœur de l’hôpital public en crise.
En 2018 et en saison 1 de la série Hippocrate, un virus avait obligé tous les chefs de service de l’hôpital Poincaré de Garches à se confiner dans un hôtel (quelle audace, disait-on alors au scénariste, réalisateur, et ex-médecin Thomas Lilti, quand on ne lui soufflait pas que ce n’était guère crédible !). Ces médecins titulaires en quarantaine avaient, par conséquent, laissé le navire aux jeunes internes Chloé, Hugo et Alyson, épaulés par le légiste Arben.
En saison 2, ce sont cette fois les Urgences, littéralement sous l’eau (suite à une rupture de canalisation), qui doivent se réinventer à l’étage de la médecine interne avec les moyens du bord et à leur tête le Docteur Olivier Brun (Bouli Lanners, passionnant de compétence tranquille mêlée à une générosité à fleur de peau). Ce nouveau chef de service, débonnaire et tatoué, requiert immédiatement une aide supplémentaire lorsque 40 « monoxydés » (patients intoxiqués au monoxyde de carbone) sont accueillis (faute de mieux) sur le parvis de l’hôpital en pleine froidure.
Nos trois internes rempilent donc pour un nouvel apprentissage en apnée dans une spécialité qu’ils ignorent. Et Arben (Karim Leklou, opaque et tangible), disparu en fin de saison 1 pour cause d’exercice illégal de la médecine découvert par sa hiérarchie (mais pas ses collègues) réapparaît pour être, au vu de ses compétences évidentes, réintégré manu militari par le Dr Brun, en manque de bras.
Sur une structure identique à la précédente — en gros : crise, réaction, conséquences —, cette saison 2 (toujours coécrite par Anaïs Carpita, Claude Le Pape et Thomas Lilti, avec la collaboration de Mehdi Fikri, Julien Lilti et Charlotte Sanson) déploie des qualités scénaristiques dignes des plus grandes séries hospitalières dont les États-Unis se sont fait une spécialité, de Hôpital central / General Hospital (version « soap ») à Urgences ou Grey’s Anatomy, les intrigues amoureuses en moins. Ici, du soin, rien que du soin, et la corde des soignants qui se tend un peu plus au risque de lâcher. Les rebondissements affluent, apportant leur lot de personnages secondaires, d’humanités souffrantes en demande de secours, de surpassement et de système D de la part des médecins. Mais sans surenchère : une catastrophe en général n’arrive jamais seule, on sent bien que tout cela est frappé du sceau du vécu.
L’arc des personnages est remarquablement tenu. Irrémédiablement tendu. Ainsi, Chloé, diminuée physiquement suite à son accident cardio-vasculaire, a perdu ses certitudes. Une fêlure invisible s’est insinuée au fil de son visage fier et de son long corps hiératique surplombant tout et tout le monde (Louise Bourgouin est d’une présence rigide impressionnante). En apparence, elle est identique ; au fond d’elle, elle doute. D’elle-même, de ses réflexes, de ses diagnostics. C’est d’ailleurs ce sentiment, le doute, qui parcourt toute la saison, de Brun, qui reconnaît ses erreurs, à Alyson changeant soudain de vocation, en passant par Hugo dépassé par les événements et toujours soumis à la pression supplémentaire d’être en quelque sorte un « héritier », à savoir le fils de la patronne du service de réanimation. La pétulance d’Alice Belaïdi est contrebalancée par mille nuances de désarroi et l’assurance bravache de Zacharie Chasseraud est infirmée par d’infimes rougeurs devenant pâleurs. Après les certitudes et l’effervescence de la découverte vient le choc de plus en plus frontal d’une réalité qui ne va pas en s’arrangeant.
Là, tout se craquelle et pourtant, chacun continue à avancer, bon an mal an, parce qu’il faut bien faire son métier, réagir, apporter assistance, tenir le coup face à l’afflux de patients malgré le manque de moyens et la fatigue accumulée… Pas le choix… À travers des personnages dont les visages nous sont familiers, car ils étaient déjà présents dans le chœur des soignants, Lilti développe aussi l’importance des anonymes, de Igor, interne urgentiste repoussant ses limites jusqu’au point de non-retour (Théo Navarro-Mussy, fiévreux à souhait) à Martine, aide-soignante et pythie épuisée, qui ne cesse d’avertir que trop c’est trop (Sylvie Lachat, solide et émouvante).
Hippocrate, série essentielle, est sans aucun doute la fiction qui se rapproche le plus de ce que vivent les soignants de l’hôpital public français depuis des années. La fiction qui NOUS en rapproche le plus…